Art cousu – Schellen Engel
Schellen Engel (Ange au grelot), de Klee, 1939, crayon sur papier brouillon.
Il me plaît bien avec sa bouille pas si sage, son attitude alerte et son grelot presque vivant. Et puis ce n’est pas un inconnu, il a fréquenté mes murs sous forme de carte postale il y a quelques années.
J’ai beaucoup gribouillé avant de couper-coudre mais l’essentiel (ciel ?) tenait dans des “ailes”, une pointe avec un grelot amovible, une ligne simple mais avec quelques détails de structure.
C’est Pierre de Lune des Grains de Couture pour hommes et femmes d’Ivanne Soufflet qui m’accompagne dans ce projet. Ce modèle me fait de l’œil depuis un moment en tant que tel et là je vois son côté aube moderne qui répond à mes souhaits. Les arrondis et pointes de la coupe me rappellent ceux du dessin de Klee et les manches se rapprochent de celles des blouses d’artistes-peintres à l’ancienne.
Puisque l’œuvre est sur papier brouillon, en plus de nécessités budgétaires et du type de matière voulue, je cherche un tissu de récup’. Après une déconvenue sur une occasion d’ancien coupon de métis trop raide, un ange passe, et je trouve en farfouillant la cave un drap ancien à jours échelle qui attend son heure depuis plus de 40 ans (du trousseau de mariage de mon beau-père).
Il a, si j’ose dire, l’étoffe d’une “toile” pour un art cousu et s’impose donc pour la Pierre de Lune. Pour autant, je m’obstine à vouloir utiliser le métis. Je divise donc mes souhaits et les rappels cousus de l’œuvre : une tunique à manches longues revisitée avec une pointe dans le dos ET un pseudo paletot ailé construit librement à partir du même patron (ampleur réduite, manches raccourcies et redessinées à la forme de l’encolure, dos ouvert et croisé en deux ailes, devant très court).
Mes tissus étant écrus, je les teins avec prudence (grâce à ces indications : http://grisetrose.canalblog.com/archives/2011/09/22/22053918-p50-0.html) : le drap en gris très très léger comme le papier de brouillon de Klee et le métis un tout petit peu plus soutenu (avec une jolie surprise à l’arrivée : je l’avais fourré sec et froissé raide dans la machine, il ressort avec des froissures teintes, comme un tie and dye tout doux), en écho involontaire à du papier froissé qu’on aurait lissé pour s’en resservir.
La tunique reste simple : hors les lignes de couture précisées plus haut, c’est le biais contrasté anthracite de l’ourlet rapporté qui évoque pour moi le trait de crayon presque unique qui dessine l’ange. Je me fais plaisir en gardant les ourlets à jours échelle d’origine pour le bas des manches. Un grelot ancien “sonnaille” pour qu’il soit assez gros agrémente la pointe, il est amovible car un peu lourd et peu discret pour être porté au quotidien. Ne résistant pas à mon envie initiale de poésie, je profite des multiples talents de l’artiste choisi pour broder juste au-dessus de l’ourlet un extrait d’un de ses poèmes, dans le texte (en allemand), en décalquant lettre à lettre la graphie sur un autre de ses tableaux (Einst dem Grau…) pour obtenir comme une police d’écriture Klee : “Diesseitig bin ich gar nicht fassbar”* qui convient parfaitement à un ange, même au grelot.
Pour le paletot, je mets l’accent sur les finitions (après tout, c’est une “œuvre”) : parementures tout le tour intérieur, doublure (voile de coton ciel – pour un ange, même ailleurs qu’à Berlin – récupéré sur un pantalon – trop – large d’été) entièrement fixée à la main à tout petits points. N’ayant pas le temps de faire de toile, je me fais de grosses frayeurs avec de nombreuses erreurs de couture pour assembler les morceaux extérieur + doublure comme je le souhaite plus ou moins en même temps, surtout pour le dos croisé, et sur la fin, j’ai vraiment peur que le dos soit raté (les photos nous réconcilient).
Voilà les deux pièces portées ensemble, mais je pense que leur avenir sera séparé, l’amie qui a pris les photos (merci, CB !) a essayé le paletot sur son t-shirt tout simple et l’effet était plus moderne (moins religieux), voire porté à l’envers ! Quant à la tunique, elle passera très bien sur un jean.
Merci (si vous avez lu jusque là) pour ce concours vraiment inspirant, merci pour ce lieu plein de rêves réalisés et pourvoyeur inépuisable d’envies. C’est une première publication (et ouh que c’est dur de poser) mais sans doute pas la dernière.
*”Diesseitig bin ich gar nicht faßbar.
Denn ich wohne grad so gut bei den Toten,
wie bei den Ungeborenen.
Etwas näher dem Herzen der Schöpfung als üblich.
Und noch lange nicht nahe genug.” (Klee, 1920)
(Ici-bas je ne suis guère saisissable, car j’habite aussi bien chez les morts que chez ceux qui ne sont pas nés encore. Un peu plus proche de la création que de coutume. Bien loin d’en être jamais assez proche.) Texte choisi par son fils pour son épitaphe.
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mais non, ce n’est pas dur de poser, tu peux te lancer, le premier pas est fait et tu es ravissante en photo !!
Merci :rougit: (j’avoue qu’en effet ça m’a aussi donné envie de recommencer).
Bienvenue pour ta première publication — et vu le plaisir que tu prends à écrire (je me trompe?) et la qualité de ta plume, se serait même dans un blog que tu devrais te lancer.
Et quel cheminement pour toi aussi!
C’est faire œuvre que de réinterpréter ainsi ce petit croquis, de projeter et de se le réapproprier comme tu l’as fait.
(oups, je suis démasquée…) Merci !
Belle interprétation du facétieux petit ange de Klee. La forme est magnifique; j’aime l’utilisation des draps et le choix des couleurs. Bravo!!!
Ton texte est aussi magnifique que le vêtement !
Et Klee est le premier des 3 peintres que je préfère.
Très sympa