Un petit goût de pro

Discussions

Couture, vente et contrefaçon

Retour aux forums | Ajouter en favoris

Powings (il y a 11 ans, 4 mois)

Fil très intéressant merci :)

Madebycelinette (il y a 11 ans, 4 mois)

Je vais essayer de répondre à vos questions successivement. Je m'excuse par avance si mon post est un peu long mais quand je me pose une question j'aime avoir la réponse ET le raisonnement qui a permis d'y parvenir.

@Luciole:
Ton exemple concerne ce que l'on appelle les "œuvres dérivées", c'est à dire les créations qui intègrent tout ou partie d'une œuvre existante. Les adaptations cinématographiques de romans sont par exemple des œuvres dérivées.

Rappel : les deux œuvres (l’œuvre initiale et l’œuvre dérivée) peuvent toutes deux être protégées par le droit d'auteur si en elles en remplissent les conditions (originalité, mise en forme). Toutefois ce n'est pas parce qu'une œuvre dérivée est protégée par le droit d’auteur que l'auteur de l'œuvre initiale perd ses droits. C'est pourquoi l'auteur de l'œuvre dérivée doit demander son autorisation à l'auteur de l'œuvre initiale (ou de ses héritiers s'il est décédé) avant d'intégrer l'œuvre initiale dans son œuvre et doit lui verser une partie de la rémunération qu’il tire de l’exploitation de son œuvre.

Ceci rappelé, reprenons ton exemple: l'élaboration d'un patron d'une peluche représentant un personnage de dessin animé.
Pour savoir s'il existe un risque de contrefaçon, le raisonnement à suivre est le suivant:
1) la création initiale (le personnage de dessin animé) est-elle une création protégée par le droit d'auteur?
Pour répondre à cette question il faut vérifier que ce personnage est original et mis en forme. C'est ici manifestement le cas: la mise en forme est évidente (il s'agit d'un dessin) et l'originalité manifeste (ce dessin révèle le style et la culture de son auteur).
==> la création initiale est donc protégée par le droit d'auteur.
2) La création seconde (le patron) reprend elle des éléments reconnaissables de l'œuvre initiale? La réponse est oui. En effet le but du patron est précisément que l'on reconnaisse le personnage de dessin animé.
Conclusion: les auteurs des patrons doivent préalablement obtenir l'autorisation des titulaires des droits d'auteur sur le personnage de dessin animé, sous peine de contrefaçon. Pour répondre à ta seconde question, le fait que le patron soit diffusé de manière gratuite ou non ne change rien: l'autorisation est nécessaire dans tous les cas (car l’auteur de l’œuvre initiale a le droit de contrôler TOUS les usages de son œuvre, gratuits ou payants).
Par ailleurs, et en ce qui concerne le cas particulier de Totoro®, plusieurs marques ont été enregistrées qui reprennent le nom et/ou la forme du personnage. Leur utilisation sans autorisation constituerait donc deux contrefaçons distinctes: contrefaçon de droit d'auteur et contrefaçon de marque.

@Nush et tiempolibre: vos questions sont assez proches: peut-on vendre un vêtement réalisé à partir d'un patron existant? La réponse est effectivement non.
En effet: le droit d'auteur protège le patron et toutes ses mises en forme (les vêtements). Il n'est donc pas possible en principe de réaliser des vêtements sans autorisation de l'auteur.
Toutes les adeptes de Mme Burda® sont elles donc de viles contrefactrices ? Non (ouf :)), par application de ce que l'on appelle l’exception de copie privée.
Je m'explique:
Le principe défini par le droit d'auteur est que toute reproduction de l’œuvre doit être autorisée par l’auteur (pour qu’il puisse en contrôler l’usage et percevoir une rémunération proportionnelle). La réalisation d’un vêtement à partir d’un patron est une reproduction.
Mais le Code de la propriété intellectuelle définit certains cas (des exceptions) où cette autorisation n’est pas nécessaire. Il s’agit d’utilisations de l’œuvre qui sont jugées légitimes.
Une de ces exceptions est ce que l’on appelle la copie privée : un utilisateur légitime (qui a obtenu légitimement le droit d’utiliser l’œuvre) peut la copier pour son seul usage personnel. Ex : si j'achète un CD à la FNAC®, je peux le copier sur mon ordinateur, sur mon lecteur MP3… de même quand j’achète un magazine Burda®, je peux réaliser les modèles pour mon propre usage. ATTENTION : les conditions pour que cette exception s’applique sont les suivantes : la copie doit être strictement limitée à l’usage du copiste et évidemment la copie ne peut pas faire l’objet d’une commercialisation.
Dans le cas que vous présentez (réalisation au bénéfice d’un tiers avec contrepartie financière), ces conditions ne sont pas réunies (et donc que l’exception ne s’applique pas). En conséquence on en revient au principe d’autorisation préalable de l’auteur, sous peine de contrefaçon.

Pour conclure, je souhaite attirer votre attention sur deux points importants:
- les conclusions qui figurent dans ce post n'engagent que moi: il est toujours possible qu'il existe des décisions de justice divergentes dans un domaine finalement assez subjectif.
- par ailleurs quand je conclus à un risque de contrefaçon, cela ne signifie pas que toutes les personnes qui réalisent les actions concernées seront systématiquement poursuivies en justice par les titulaires des droits de propriété intellectuelle. Mes réponses résultent de l'application du droit uniquement. Le fait d'intenter une action en justice tient compte également de son opportunité, c'est à dire du bilan coût/avantage de cette action (cela vaut il la peine de payer, cher!, des avocats pour faire cesser cette activité?).

J’espère avoir été claire :)

nommm (il y a 11 ans, 4 mois)

Hum, pour la question de tiempolibre, ne peut-on pas voir la question sous un angle différent qui rendrait cela légal ?
Je m'explique : Si c'est la prestation qui est vendue et non la pièce produite ?
C'est à dire si le matériel et le patron sont fournis par quelqu'un et que ce sont les heures de coutures qui sont payées, c'est légal non ??

Euphroisine (il y a 11 ans, 4 mois)

Et ben finalement j'ai bien fait de lancer le post !!!! ET merci Celine de prendre le temps de nous répondre . En tous cas tu es très claire !

Nommm je me posais la même question que toi.

Nusch (il y a 11 ans, 4 mois)

Merci de prendre le temps de nous répondre.
Pour ma part, je pensais justement à ce qu'explique Nommm. Tout le monde ne coud pas, alors est-ce que les non couseuses doivent renoncer totalement à de jolis fringues Burda, Deer&Doe et j'en passe? Si elles fournissent patron et tissu, on est en droit quand même de demander une compensation pour le temps de travail ou est-ce aussi de la contrefaçon?

Madebycelinette (il y a 11 ans, 4 mois)

Chère Nommm, chère Nusch,

L'objet de la prestation de service qui serait rémunérée serait la création d'une copie non autorisée d'une oeuvre protégée. La couturière se rendrait donc bien coupable de contrefaçon, et sa clientèle pourrait voir sa responsabilité pour recel (le recel étant le fait de bénéficier des produits d'un délit).

Toutefois, et pour répondre plus particulièrement à la remarque pertinente de Nusch, je vous rappellerais le dernier paragraphe de mon dernier post: mes réponses se basent sur la seule application du droit. Je pense (mais cela n'engage que moi) que tant que ce type d'activité reste limitée (nombre d'exemplaire réduit et rémunération raisonnable) , le risque d'une action judiciaire l'est également.

yassou (il y a 11 ans, 4 mois)

Merci beaucoup Céline pour ces éclairages!

tiempolibre (il y a 11 ans, 4 mois)

Super Céline 2103. C'est très clair. J'aime que tu aies tout expliqué de la question à la conclusion avec tout le raisonnement. Ca m'a l'air passionnant ton travail !
Un très grand merci pour tout ça !

Madebycelinette (il y a 11 ans, 4 mois)

Merci a toutes pour vos questions et remerciements!
@tiempolibre: il est malheureusement assez rare que l'on me pose des questions de propriété intellectuelle dans l'entreprise d'informatique où je travaille. Pouvoir échanger sur ces sujets qui me passionnent est donc un vrai plaisir !

GELY (il y a 11 ans, 4 mois)

Très sympa d'avoir repondu à toutes ces questions que tout le monde à poser pour moi ;-)
C'est adorable d'avoir pris tout ce temps, MERCI

Leefa (il y a 11 ans, 4 mois)

Merci pour tous ces précieux conseils Céline!
et tu m'apprends de choses: je pensais être dans mon bon droit en proposant à mes cliente la confection de leurs vêtements d'après les patrons du commerce.... gloups!!! :/

J'ai vite fait les rectifications sur mon site, du coup ;)

Madebycelinette (il y a 11 ans, 4 mois)

@GELY et Leefa: merci de vos messages adorables; Je suis ravie si mes réponses vous ont été utiles.

Lizzie (il y a 11 ans, 1 mois)

Fil de discussion extrêmement intéressant, merci beaucoup à Céline pour tous ces renseignements.
Je me pose une question voisine de tout ça: j'ai créé un patron.
Comment savoir qu'il est bien "original"?
Comment le "déposer" pour qu'il reste bien ma propriété?

Saki (il y a 11 ans, 1 mois)

Lizzie, tu devrais aller lire l'article complet sur le sujet
http://www.threadandneedles.org/blog/28406-droit-et-creation/

Lizzie (il y a 11 ans, 1 mois)

Merci beaucoup Saki, je l'avais raté celui-là :-)