Tissœurs Éditions, des motifs intemporels imprimés à la demande
Après la redécouverte, dans le grenier familial, d’un fonds de motifs inédits réalisés par le dessinateur textile Frédéric Millot au début du XXe siècle, Solène Tessier (notre bien connue Miio sur le forum) s’est lancée dans la grande aventure de créer une marque de tissus pour revaloriser ce patrimoine oublié.
C’est ainsi que Tissœurs Éditions est né au sein d’une coopérative et propose, depuis le début de l'année, une impression de ces motifs à la demande sur différentes qualités de tissus. Solène a accepté de répondre aux questions de Thread&Needles pour nous parler de son projet.
Comment décide-t-on de créer une marque de tissu quand on ne vient pas du tout de ce secteur ?
Au fil des années, j’ai eu quelques idées de business que je n’ai jamais concrétisées… tout ça pour découvrir, quelques temps plus tard, que quelqu’un d’autre avait eu la même idée, mais était passé à l’action…
Puis je suis retombée dans la couture en 2017 et, bien sûr, au bout d’un moment, j’ai eu envie de lancer une activité… mais laquelle ?
Et puis il y a eu ce week-end, l’année dernière, où, avec mes sœurs, on est retombées sur des motifs oubliés dans le grenier. Ça a vraiment fait tilt. Plus j’en parlais, plus j’étais convaincue. De plus, j’étais dans une phase de gros questionnements professionnels, et cette idée m’a permis de passer à autre chose.
Après ce week-end, j’ai entamé une phase de validation du projet : recherche de fournisseurs, étude de marché, formations… Je voulais vraiment comprendre ce dans quoi je me lançais. Mais on ne comprend jamais vraiment avant d’y être !
Quels ont été les différents domaines dans lesquels tu as dû te former ?
Ouh là ! Il faut savoir que j’ai une passion pour l’apprentissage. Je me suis donc inscrite à autant de formations que je pouvais gérer (et financer, car je n’ai pas d’aide extérieure) en même temps.
J’ai suivi des stages de quelques jours ou des formations hebdomadaires sur plusieurs mois : tissage, impression à la planche, sérigraphie, histoire des motifs textiles de l’Antiquité à nos jours, design textile (à la main et sur Photoshop), création de business plan, publicité sur les réseaux sociaux… et j’en oublie sûrement.
Quels ont été les plus gros défis à relever ?
Je débute encore comme entrepreneure, mais j’ai l’impression que le moment présent est toujours le plus difficile…
Aujourd’hui, la boutique est en ligne depuis presque deux mois. Mon objectif : faire connaître Tissœurs Éditions et la faire grandir, tout en assurant les ventes et le développement de nouveaux produits et collections. Et bien sûr, aujourd’hui, cela passe par les réseaux sociaux.
Je ne suis pas quelqu’un de très à l’aise sur les réseaux (je préfère mon blog !). Ce n’est pas naturel pour moi, et je cherche encore la bonne formule pour trouver mon audience et la faire grandir. Aujourd’hui, je publie des contenus régulièrement, mais j’ai souvent l’impression que ça ne décolle pas, que ça ne suffit pas pour faire connaître Tissœurs. Or, c’est indispensable : les gens doivent savoir que la marque existe pour avoir envie de découvrir les tissus — et peut-être acheter.
C’est un vrai défi pour moi. Je me sens un peu comme un hamster dans sa roue : je pédale, mais je n’avance pas !
Mais dans les étapes précédentes, j’ai aussi eu l’impression de patiner : pour finaliser le logo et la charte graphique, pour mettre les motifs au point avec l’imprimeur, pour créer et lancer la boutique en ligne… et pour arriver à appuyer sur le bouton de la newsletter pour annoncer le lancement !
Concrètement, comment fait-on imprimer des tissus avec ses propres motifs pour les vendre ?
Il faut d’abord avoir des motifs dessinés, à la main ou à la tablette. Dans mon cas, je sélectionne des motifs textiles dans les catalogues et boîtes conservés chez ma sœur. Bien sûr, il faut aussi que ces motifs fassent collection, qu’ils fonctionnent ensemble.
Ensuite, il faut les numériser, nettoyer le dessin, éventuellement le vectoriser, et créer le raccord — c’est-à-dire faire en sorte que le motif puisse se répéter sans couture. Et il existe des dizaines de types de raccords !
Il faut aussi définir une gamme de couleurs. Est-ce qu’on suit les tendances ou pas ? Il faut faire des choix… ce qui n’a pas été mon point fort au début.
Puis, le fichier doit être préparé selon les spécifications de l’imprimeur. Et enfin, on attend les échantillons pour valider, en croisant les doigts pour ne pas devoir recommencer un nouveau cycle.
J’ai d’ailleurs écrit un article de blog sur ce sujet : Du dessin au tissu : restaurer un motif textile vintage.
Combien de temps ça te prend pour travailler sur un motif et aboutir à sa mise en vente ?
C’est variable. Comme dans toute création, parfois ça vient tout seul, parfois ça prend des semaines. Je demande aussi l’avis de mes sœurs… et on n’est pas toujours d’accord !
Ça dépend de l’état du motif d’origine et de sa complexité. Typiquement, "Tictac" m’a demandé moins de temps que "Corail", mais plus que "Lozange"… Par ailleurs, j’aimerais pouvoir entrer dans un rythme où je prépare la collection, je couds des prototypes, et ensuite seulement je fais mon lancement officiel… on n’y est pas encore !
Comment choisis-tu les déclinaisons de couleurs pour chaque motif ?
Pour la première collection, j’ai travaillé 12 gammes de couleurs… Pas très optimisé.
L’idée, c’est de définir une gamme pour la collection — généralement 5 à 7 couleurs phares (hors déclinaisons claires ou foncées) — et de limiter chaque motif à cette palette.
C’est à la fois une contrainte technique (surtout en impression numérique) et un cadre créatif.
En ce moment, je travaille sur la nouvelle gamme et c’est toujours aussi compliqué de se décider !
Les motifs peuvent être imprimés sur 5 à 7 qualités de tissus différentes (double gaze, French Terry, jersey de coton, satin de coton, toile de Panama, mais aussi percale de coton et jersey côtelé pour les fonds clairs). Comment les as-tu sélectionnées ?
Depuis le début, je voulais éviter viscose et polyester (sauf pour les tissus techniques), en accord avec mes convictions et pratiques personnelles.
J’ai donc choisi des tissus qui me semblaient indispensables aux couturières, dans la gamme proposée par mon imprimeur.
C’est une limitation de l’impression à la demande. Elle limite le choix de tissu à la sélection de son imprimeur, en tout cas tant que je n’atteins pas un certain volume de commandes.
C’est une vraie contrainte, mais ça fait partie des arbitrages à faire quand on lance une activité.
As-tu prévu de faire des articles de présentation de chaque qualité de tissu pour aider les client·es à faire leur choix ?
Oui, absolument ! Sur le site et les réseaux, on trouve déjà des photos du satin, du jersey et du French Terry cousus et portés.
De plus, j’ai mis en ligne une page dédiée avec une description de chaque tissu, ainsi que des vidéos où je les manipule pour donner une idée du toucher. Je prépare aussi une série d’articles sur les différentes bases tissu, les premiers sur le French Terry et le satin de coton sont déjà sur le blog de tissoeurs.com.
Et enfin, un carnet d’échantillons est disponible sur la boutique pour permettre de choisir en touchant.
Tissœurs Éditions imprime des motifs anciens. Étaient-ils soumis au droit d’auteur ? Comment ça se passe juridiquement ?
En France, les droits d’auteur expirent 70 ans après le décès de l’auteur.
Mais les droits moraux sont perpétuels : les héritiers, détenteurs des originaux, veillent à ce que l’œuvre ne soit pas dénaturée.
Dans notre cas, la famille est ravie que je remette à l’honneur le travail de leur aïeul, Frédéric Millot.
Frédéric Millot a passé toute sa carrière dans une manufacture d'indiennes près de Rouen de 1882 à 1919. En l'absence de pension de retraite, il a poursuivi ensuite son travail en tant que dessinateur indépendant entre 1919 et 1936, période de laquelle datent les motifs que tu as retrouvés. Sais-tu à quel marché ils étaient destinés (habillement ? ameublement ? etc.) ?
Non, malheureusement, on n’a pas retrouvé beaucoup d’infos sur l’activité de l’indiennerie dans laquelle travaillait Frédéric Millot à Rouen. Si quelqu’un·e a des pistes, on est preneuses !
Pour les fans de couture historique, as-tu prévu une collection fidèle aux dessins d’origine ?
Oui ! Une de mes sœurs, Florence, passionnée de reconstitution historique, me pousse depuis le début.
J’ai donc créé la collection "Héritage", qui accueille les versions « originales » restaurées des motifs.
Pour les prochaines collections de motifs restaurés, je sortirai les versions d’époque dans la collection Héritage. Le Lozange Turquoise est d’ailleurs le premier motif de cette collection et les autres motifs de la gamme Prisme (Corail, Analogique et Tictac) vont bientôt l’intégrer.
Sais-tu quand sortira la prochaine collection ?
Je travaille déjà dessus, et j’aimerais la sortir avant l’été.
Mais je n’ai pas encore trouvé un vrai rythme de croisière… Comme je l’ai dit, j’aurais aimé coudre des prototypes avant le lancement, mais je ne suis pas sûre d’avoir le temps.
Quels sont les prochains projets de la marque ?
Deux nouveaux tissus arrivent avant l’été : le lycra sport et le lycra anti-UV pour maillots de bain. C’est une entorse à ma politique sur le synthétique, mais il n’y a pas d’alternatives pour ces usages.
Je pense aussi développer une gamme pour le patchwork en proposant des coupons avec plusieurs motifs coordonnés.
Je réfléchis aussi à d’autres supports pour les motifs, et à des solutions pour orner des tissus rarement imprimés (lainages, denims, etc.). C’est un sujet qui me trotte dans la tête depuis un moment mais la recherche prend du temps.
Depuis que tu t’es lancée, y a-t-il une chose qui t’a surprise ?
Quand j’ai eu l’idée de cette activité, j’ai tout de suite pensé que c’était un projet très en adéquation avec mes compétences et ma passion du textile et de la couture, mais je ne m’attendais pas à aimer autant le design textile ! C’est vraiment un art qui me fascine et qui comble complètement mes pulsions créatives, du pinceau à l’ordinateur jusqu’à la machine à coudre. Quand je suis en train de développer un nouveau motif, je rentre vraiment dans le « flow » comme on dit. Et cerise sur le pompon, je peux voir et toucher en vrai le fruit de mon travail, et même le coudre !
Une excellente surprise donc !
Merci à Solène d'avoir répondu à nos questions. Elle partage beaucoup les coulisses de cette aventure textile sur le blog de Tissœurs éditions et c’est très intéressant, nous vous encourageons à aller y faire un tour.
Pour en découvrir plus sur le projet, vous pouvez également écouter le podcast "Causons Couture" d'Atelier Sherwood qui est aussi disponible sur Youtube (ici).
Toutes les photos illustrant l'article sont sous copyright Tissœurs éditions.
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Bravo Solène ! J'espère que les beaux jours apporteront des teintes chaudes aussi...
Merci pour ce bel article ! Je souhaite beaucoup de plaisir et de succès à Miio !
Je n'ai pas encore réussi à trouver quel projet réaliser avec quel tissu mais je cogite... Les fonds foncés de la gamme Prisme Noir et la collection Héritage me plaisent bien. Quoi qu'il en soit, les motifs sont beaux, le choix de tissus très bon, reste à me décider...
Merci pour l'interview et bravo Solène d'avoir lancé ce projet !
Je suis l'aventure depuis la 1ère newsletter mais je n'ai pas encore acheté, j'espère moi aussi quelques teintes chaudes, parce que je ne suis pas sûre de porter certains motifs qui me font de l'oeil et sont si loin de mes habitudes.
Bravo Solene d'avoir osé ! L'enthousiasme qui sous-tend tes propos fait vraiment plaisir et donne envie d'approfondir ses recherches sur votre site!
Merci, Lucie, pour cet article.
Solène, on sent tout le plaisir que tu éprouves dans cette entreprise et je te souhaite ,de tout coeur, une belle réussite.
ces tissus font très très envie ! je n'ai pas encore d'idée vêtement à associer, mais je me laisserais volontiers tenter à l'avenir !
Toutes mes félicitations Solène :-) .
Mes deux coupons n'attendent plus que la bonne inspiration !
Et de mon côté, je suis ravie de trouver une maison d'édition textile qui ne fasse pas dans le fleuri ! Parce que perso, ce n'est pas du tout mon trip, ce qui limite grandement ce que je peux trouver en boutique...
Quelle belle aventure! J'aime particulièrement le motif corail et j'ai hâte de voir les prochaines collections.