[Manteaux etc] Tout sur la bouloche
Nous laissons aujourd'hui la parole à Goupil, qui nous explique comment se forment les bouloches et comment bien choisir son tissu pour limiter le phénomène.
On coud (ou on achète …) un vêtement, il est beau, il est lisse, on l’aime d’amour, et horreur, un jour, sans prévenir, les bouloches, ces petites boules duveteuses, déboulent et viennent ternir son éclat. Cela peut toucher tous les tissus et vêtements : pull en maille, pyjama en jersey ou en flanelle, manteau en lainage, veste en sergé …
La « boulochogenèse » semble bien mystérieuse. Elle n’atteint pas tous les vêtements à la même vitesse et ne les défigure pas avec la même intensité. Certains vêtements sont même épargnés, sans que l’on ne comprenne pourquoi.
De gauche à droite : sergé noir 80% polyester - 18% viscose - 2% élasthane ; lainage rose 51% laine - 45% polyester - 4% polyamide ; lainage bleu 70% polyester - 30% laine.
La mécanique de l’apparition de la bouloche est en fait bien connue.
Les tissus, qu’ils soient de type « chaîne et trame » ou « maille », sont fabriqués à partir de fibres que l’on torsade entre elles pour former de longs fils, que l’on va ensuite tisser ou tricoter.
Ces fibres, à cause des frottements produits lors de l’utilisation du vêtement, peuvent s’échapper de leur fil, s’emmêler avec d’autres fibres échappées et former de petites pelotes. Celles-ci restent malheureusement bien accrochées au tissu, puisqu’elles sont entremêlées avec ses fibres. C’est pour cette raison que les bouloches apparaissent surtout sur les zones de frottement : le passage de la bandoulière du sac à main, le col, le bout des manches ou, pour les pantalons, l’entrejambe, voire les fesses...
Mais les fibres et les tissus ne sont pas égaux face à la bouloche. Plusieurs paramètres sont à prendre en considération.
Les facteurs favorisant l’apparition de bouloches
1/ La longueur des fibres qui composent le fil
Typiquement, la soie ne peut boulocher car, quand on déroule un cocon de ver à soie, on a une fibre continue (jusqu’à 1 km de long). Pas de danger qu’elle s’échappe et se mette à boulocher !
En revanche, la longueur des fibres de la laine varie beaucoup selon sa qualité. Des moutons qui sont tondus trop souvent fourniront une laine à fibre courte, génératrice de bouloches. Les laines de qualité sont issues de la première tonte des moutons.
Toutefois, les toisons des moutons contiennent des fibres de différentes longueurs. Lors du traitement de la laine, les fibres brutes sont cardées, c'est-à-dire démêlées, débarrassées d’éventuelles saletés et grossièrement parallélisées à l’aide de tambours munis de pointes en métal. Cela donne une laine aérée, légère, élastique, qui isole bien du froid, mais d’aspect rustique.
A gauche : tambour de cardage utilisé pour de la laine de lama [source].
A droite : ruban de laine cardée (en haut) et ruban de laine peignée (en bas) [source].
Le ruban de carde peut être filé tel quel ou il peut ensuite subir l’opération de peignage, qui va davantage paralléliser les fibres et éliminer les fibres courtes. La laine peignée est plus dense que la laine cardée ; le fil obtenu sera plus fin.
Quand on achète un lainage, on a malheureusement peu d’informations sur la longueur des fibres de la laine. Il est notamment très rare de voir la mention « laine peignée » dans la composition d’un tissu. Ce facteur est donc une inconnue.
2/ La torsion appliquée aux fibres.
Plus le fil a été torsadé, mieux les fibres seront maintenues et moins elles auront tendance à en sortir. Là non plus, ce genre d'informations n'est pas donné quand on choisit un tissu.
3/ Le mélange de fibres.
Lors de l’étape du cardage, on peut mélanger d’autres types de fibres à la laine. Mais quand un lainage est composé d’un mélange de fibres, celle qui est la plus solide va, par frottement, casser la fibre plus fragile, formant ainsi ces fameuses fibres courtes responsables de l’apparition des vilaines bouloches. Autrement dit : un lainage 100 % polyester pourrait moins boulocher qu’un 70 % polyester – 30 % laine ! Notez que, si le mélange comporte du cachemire, ce dernier, très fragile, va hélas raccourcir la durée de vie du tissu.
Mais alors, suffit-il de choisir des lainages ne contenant que de la laine ? Pas si simple. Plusieurs mentions peuvent toutefois vous aider à bien choisir votre tissu.
- La dénomination « Laine vierge » signifie que l’on a ajouté aux maximum 7 % d’autres fibres à la laine.
- Avec le label « Pure laine vierge », c’est mieux : il n’y a que 0,3 % de fibres ajoutées au maximum.
- Quant aux indications « 100 % laine », ou « pure laine », elles peuvent correspondre à une laine de moins bonne qualité (mais issue de la tonte d’un mouton) ou à de la laine recyclée, qui est produite par le déchiquetage de vêtements en laine, puis le filage du matériau obtenu (des fibres probablement courtes). La mention "laine recyclée" apparaît toutefois de plus en plus souvent sur les étiquettes. C'est un matériau respectueux de l'environnement, les marques ont donc intérêt à communiquer sur le sujet.
4/ La densité du tissage ou de la maille.
Un tissage ou une maille serrés vont limiter les frottements des fibres entre elles et donc limiter la formation des bouloches.
Les laines foulée (chaîne et trame) ou bouillie (maille) devraient être moins susceptibles de boulocher, car les opérations de feutrage subies rendent leur structure plus dense.
Au final, on reste à la merci du boulochage
Un paramètre que l’on maîtrise, c’est le type de tissage : mieux vaut choisir un lainage au tissage dense et serré, plutôt que quelque chose de mou. Mais, faute d’informations complètes sur la composition d’un lainage, on ne peut pas s’assurer que le manteau que l’on va coudre à la sueur de son front va durer 15 ans.
Les fabricants ne nous aident pas… Sur les tissus de mauvaise qualité, pour éviter que les bouloches ne se forment immédiatement, ils appliquent des produits chimiques qui gainent les fibres pour les protéger des frottements. Si l'on veut vraiment se donner toutes les chances de trouver un tissu qui ne boulochera pas, il faut sans doute choisir un lainage « pur laine vierge », ou trouver une mention « 100 % laine peignée ».
Pour aller plus loin
Un article sur la laine et les différents lainages dans le journal d'Artesane.
Un article sur l’apparition des bouloches sur les mailles, mais qui s’applique bien aux tissus chaîne et trame.
Au sujet du processus de fabrication de laine recyclée, se référer à cet article en français et à ce document en anglais.
Merci à Goupil pour cet article !
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Merci pour cet article très clair. Je comprends mieux pourquoi le manteau que j'ai cousu à mon fils l'année dernière, dans un mélange laine et cachemire que j'avais pourtant payé assez cher, bouloche déjà...
dire qu'il y a une science pour les bouloches ... c'est fascinant !!! et la conclusion, c'est qu'il faut cohabiter avec elles, quoi !
Un article instructif et passionnant, merci Goupil. Je serai plus attentive à la composition et au maillage de mes manteaux après cet article !
Super article, tout à fait clair et tellement intéressant !
Bravo pour cette synthèse ! En fait les laines retordues, c'est parfois indiqué quand même et ça s'appelle worsted. C'est dans le haut de gamme des laines sèches anglaises...Ouille le prix. Dans mon expérience, ce qui n'a jamais produit la moindre bouloche ce furent 3 manteaux en gabardine de laine : un vrai vintage 40 ou 50, une fripe YSL, et un manteau boutique chic. Les trois continuent leur vie sur le dos d'autres personnes minces. Alors pour celles qui aiment avoir le choix entre noir et noir, en laine vraiment pas mélangée il faudrais explorer les quartiers juifs orthodoxes.
Super intéressant, merci !
C'est idiot, mais je ne peux m'empêcher de penser à cette pub dans laquelle officiait Christine Bravo et qui vantait les mérites d'une lessive anti-bouloche... :D
Je reste sur ma faim. Quid des différents mélanges ? Et ils sont nombreux ! Cf le message de Nadriel.
@Missumlaut : j'ai cherché des infos sur de la laine qui serait davantage tortillée, mais sans succès. Tu parles de la laine Worsted, mais dans mes recherches, j'ai trouvé que Worsted = laine peignée (ce sont les mêmes articles Wikipédia, l'un en anglais et l'autre en français), sans éléments sur un éventuel retordage ....
Je pense que malheureusement, les termes sont employés par les fabricants de manière un peu libre ...
@Ticchetetta : hélas, on ne peut pas affirmer que tel mélange aura tel effet, car ça va beaucoup dépendre de la qualité de la laine dans le mélange, information qui ne nous est pas souvent accessible. Par exemple, un laine 20% polyamide - 80% laine pourrait ne jamais boulocher s'il est fait à partir d'une laine de très bonne qualité, à fibres longues. Alors que si la laine est recyclée, il y a toutes les chances pour que ça bouloche.
Pour plus d'infos sur le rôle des différentes fibres dans les mélanges, voir le lien vers Artesane, à la fin de l'article.
Merci pour cet article.
La qualité de la laine varie aussi en fonction de la race ovine et souvent il s'agit du mélange de fibres provenant de différentes races. Outre les différences entre les qualités d'isolation, d'imperméabilité, la longueur de la fibre, l'élasticité, etc.... sont différentes. Et pour certains fils de laine à tricoter ou tissus si les fibres sont obtenues à partir de toisons à fibres courtes, la qualité baisse réellement. Le 100% laine n'est pas toujours une garantie absolue de qualité, même si c'est l'idéal. Voici un tableau comparatif :
https://drive.google.com/file/d/1Xtml-g7d1FZ3vKA8Nyve2dcvtUN0cZ-_/view
Merci pour cet article ! J'ai appris plein de choses et je suis bien contente d'avoir choisie, un peu au hasard, une laine bouillie pour me faire mon manteau il y a 3 ans. Il n'a pas bougé d'un poil !
Une autre ressource sur la laine worsted. Et effectivement il n'est pas non plus question de la torsion dans cet article, mais c'est une pure laine à fibres longues, dense, lisse et sèche.
Un paramètre intuitif, ça je ne peux rien prouver c'est tactile, il me semble que les laines récentes sont très agressivement dégraissées, donc rêches. La lanoline est toute partie, le "gras" (une cire, en fait) n'y est plus. Les tricoteuses doivent en savoir plus.
Merci pour cet article très intructif !
Je pense que ces explications valent aussi pour le coton ou la viscose. Je me retrouve avec des projets en batiste de coton & sweat molleton viscose d'Atelier Brunette qui boulochent au bout de 2-3 lavages... je me pose des question sur la qualité des fibres initiales du coup !
Article intéressant. Mais imagine acheter par internet, comment apprécier la qualité d’un tissu ? En le commandant et si ça ne convient pas en le renvoyant ? C’est dommage que les beaux magasins de tissu disparaissent.
Article très intéressant même si un peu angoissant par sa conclusion : même en faisant attention, on est à la merci des bouloches :(
j'ai récemment cousu un jacquard matelassé en fibres recyclés (coton et polyester). L'argument écologique de la fibre recyclée est mise en avant par la marque. Malheureusement le tissu a commencé à boulocher dès l'étape couture et après un mois d'utilisation quasi-quotidienne du vêtement fini, il est couvert de bouloches :/
@ViviB : peut-être qu'il faut que l'on trouve la bouloche belle, comme une marque que le vêtement vit ?? Après tout, les vêtements en cuir qui ont vécu sont appréciés pour ça ...
@Goupil : La belle bouloche c'est quand même un sacré changement de paradigme ! Je vais essayer de m'entraîner à les aimer :)