L'art de la pose
Après notre série d'articles consacrés à la photographie* il était plus que temps de faire appel à une artiste de la pose, Florence Rivières, qui vient justement de publier un magnifique livre d'art sur le sujet. Elle va nous parler de confiance en soi mais aussi de protection de la vie privée. Scoop : il n'est pas indispensable de montrer sa tête pour réussir de chouettes photos !
Bonjour Florence, commençons par te présenter : tu es modèle, photographe, auteure…. En quoi cela consiste-t-il ? Comment es-tu arrivée devant et derrière un objectif ? De quoi parle ton livre et qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire sur ce sujet précis ?
Alors, je suis effectivement tout ça, et je crois que le mieux pour en parler c’est de raconter dans quel ordre ça s’est déroulé. Donc j’ai commencé à poser en 2009. À l’époque, c’était plus une façon d’essayer de prendre confiance en moi… Je pensais qu’en ayant de jolies photos de moi, je serais plus à même de m’accepter. Spoiler alert : ce n’est pas comme ça que ça marche. En réalité, si j’ai fini par prendre confiance en moi ce n’est pas grâce aux photos - elles, on pourrait presque dire qu’elles me rendaient plus attentive à mes imperfections, du moins au début -, mais un effet collatéral du fait d’avoir pris sur moi de poser alors que rien ne m’y destinait : personne ne m’a repérée dans le métro, je ne fais pas 1m80, je suis plutôt réservée à la base et petite...
J’ai donc commencé à poser pour la confiance en soi, mais je me suis vite ennuyée avec le “traditionnel” trio portrait/mode/lingerie. Faire des photos uniquement pour y être jolie m’est vite apparu sans intérêt, et j’aurais lâché l’affaire si je ne m’étais pas rendu compte à ce moment-là qu’il m’était possible d’être non seulement créative, mais signifiante. C’est là que j’ai commencé à raconter des histoires.
Forcément, à croiser des dizaines de photographes aux démarches diverses, à essayer de faire réaliser les images que j’avais en tête les fois où je ne me baignais pas dans leur univers à elleux, j’ai commencé de nouveau à ressentir les petits pics de la frustration. C’est là que j’ai décidé de prendre un appareil photo entre mes propres mains, à la base pour faire des autoportraits.
Pendant ce temps-là, j’ai navigué de cursus en cursus pour revenir à mes premières amours, LES études qu’on m’avait déconseillées d’entreprendre parce que “sans débouchés” : un diplôme de philosophie.
Par coïncidence, au même moment, il s’est passé quelque chose d’autre. Cela faisait plusieurs années que je recevais des mails de modèles qui débutaient, ou de jeunes gens qui souhaitaient se lancer et me posaient des questions. Je leur répondais de mon mieux mais je finissais par me dire que j’allais finir par leur écrire une FAQ pour gagner du temps.
Tout ça s’est un peu mixé dans ma tête et une de ces “idées comme ça” que vous avez parfois sans vouloir vous l’avouer est remontée de mon esprit. Et si j’écrivais un livre ?
Il est structuré comme un livre qu’on voudrait lire si on veut commencer à poser, et il remplit cette tâche, mais plus largement il parle de la pose, de différentes démarches qu’on peut avoir, de la légitimité à orchestrer la représentation de son propre corps, et puis j’en ai profité pour inclure un peu de notions de philo-socio sur le corps et l’image du corps, couplées à des observations sur l’état des choses dans notre société actuelle. En fait, c’est un manifeste féministe et pro-vulnérabilité radical, qui parle de pose, sur fond de témoignage.
Quand j’ai découvert le titre de ton livre, Osez le narcissisme, cela m’a aussitôt fait penser à la galerie des projets de Thread&Needles, plus précisément aux photos qui s’y trouvent. On y passe d’un extrême à l’autre : d’un côté des photos très travaillées et des poses assumées afin de mettre en valeur les vêtements cousus et tricotés, de l’autre des images que l’on dirait presque volées dans un coin de miroir, qui permettent à peine de voir comment tombe le vêtement…
Outre le défi technique à relever pour prendre une photo réussie, on a parfois l’impression qu’il s‘agit d’un problème d’image, qu’il est presque honteux d’oser se prendre en photo. Peut être parce qu’on ne pense pas que le vêtement que l’on montre (et le corps qui le porte) méritent beaucoup d’attention… Parfois aussi parce que se prendre en photo, montrer ce que l’on a fabriqué relèverait du narcissisme… Qu’as-tu à nous dire à ce sujet ?
L’inverse. Je pense qu’on vit (surtout ceux qui ne sont pas des hommes blancs et riches, dont les femmes, mais pas que) dans un monde où l'on nous bombarde de petits messages subliminaux si on ne correspond pas à certains canons. Tu n’es pas assez bien. Ta place n’est pas dans l’espace public. Tu n’es pas suffisant•e. Tu es trop ceci, pas assez cela. Cache-toi. Tu te découvres trop. Tu es trop prude. Et nous, on absorbe ça depuis notre plus tendre enfance. Tu m’étonnes qu’on aie du mal avec le concept de se mettre en avant, voire simplement : en valeur. En valeur, ça ne veut pas dire mettre des tonnes de maquillage pour ressembler à une affiche publicitaire. Ça peut être tout simplement s’assumer comme on est et dire : je suis comme je suis, et c’est comme ça. Si vous avez un problème avec ça, ça ne m’intéresse pas.
On a l’impression que la tendance s’inverse avec le nombre de selfies qu’on voit sur Instagram mais la plupart de ces comptes montrent surtout - je pense - des vies marketées pour ressembler à ce qu’on leur a dit qu’elles devaient être. Ce n’est pas s’assumer, c’est se fondre dans un moule. En réalité c’est souvent beaucoup de mal-être qui en crée encore - et ce n’est pas à généraliser, mais force est de reconnaître que ça se voit beaucoup. Vous savez depuis quand je dis que j’ai pris confiance en moi ? Depuis que je m’en fous. J’aime bien dire que je me suis tellement confrontée à mon image que je m’y suis insensibilisée. La photo est jolie ? Chouette. La photo est forte, symbolique, signifiante ? Génial ! Je suis moche sur la photo ? Boh, il y en aura d’autres.
En fait c’est rigolo qu’on aborde le narcissisme sur T&N, parce que tu sais à qui profite, selon moi, cette espèce de campagne de matraquage à base de “si tu ne te sens pas représenté•e dans l’espace public alors c’est que tu n’es pas légitime pour y être”, sentiment d’illégitimité duquel découle cette sensation d’être narcissique, de “s’aimer trop” (s’aimer trop par rapport à quoi ? Quelle est la bonne dose exacte d’amour de soi ? N’oublions jamais qu’un narcissisme trop poussé est pathologique, mais qu’un manque - une faille narcissique - l’est tout autant), à part au patriarcat ? À la société de consommation…
Ben oui… La phrase qui suit “tu n’es pas suffisant•e”, c’est généralement “Mais voici de quoi y remédier. Reviens dans la tribu grâce à notre produit et ça te coûtera seulement 29,99€”.
Pour certain.e.s il y a aussi une problématique non négligeable, celle de la vie privée sur internet. Montrer un vêtement cousu en utilisant un pseudonyme est une chose, montrer sa tête est une toute autre histoire. En tant que modèle et photographe, as-tu des conseils à nous donner pour réussir ses photos sans montrer sa bobine ?
Sincèrement, je ne considère pas le visage comme étant indispensable à ce qu’une photo soit réussie. Ou belle. Ou même expressive. Pour le coup, j’ai envie de parler des Rêvalités de Julie de Waroquier. On y voit très peu son visage, pour que le spectateur puisse mieux se projeter dans ses images. Eh bien, avant de l’entendre le faire remarquer en conférence, je ne m’étais jamais fait la réflexion, parce que ce n’est pas un manque, juste une particularité.
Du coup, je ne penserais pas en termes de “réussir ses photos sans montrer son visage” parce que ça nous fait nous focaliser sur l’absence de visage alors qu’il y a tout un corps et un cadre avec lesquels on peut jouer avant de voir ce qu’on fait ou non du visage. Ce serait peut-être bien ça, mon conseil.
Pour en savoir plus
Acheter le livre de Florence Rivière, L'art de la pose.
Il est aussi disponible dans une bibliothèque à Ixelles en Belgique, si jamais vous passez par là.
* Comment prendre de belles photos | Photographier ses projets | Traiter vos photos
Ajouter un commentaire
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.
Article très intéressant et jolies découvertes, merci!
Pour faire de belles photos, il faut d'après moi aussi un appareil correct, quelqu'un qui tienne l'appareil ou une bonne solution pour poser l'appareil (trépied, etc.), de la lumière et du temps. Personnellement, c'est surtout ces ingrédients-là qui me manquent pour faire de belles photos... et pour cette partie-là, je n'ai pas encore trouvé de solution!
Merci pour cet article qui donne très envie de découvrir le livre de Florence Rivières!
Voilà un article qui donne à réfléchir. Merci beaucoup pour toutes ces pistes !
Hé, contente d'entendre parler du bouquin de Julie ici ! Merci pour cet interview Saki :)
Très bel article, merci! Ça donne envie de faire de belles photos. De réfléchir à ce qu'est une belle photo.
Merci pour cet article. Je vais le faire lire à mes enfants, qu'ils prennent bien conscience que l'estime de soi passe par l'acceptation de soi et que je ne suis pas la seule à le penser.
Magnifique article, merci pour ce partage Saki !!! Le narcissisme un bien grand mot... S'aimer soi même permet de rayonner, et d'aimer les autres sincèrement. Sans parler de nombrilisme, bien au contraire :)