[Interview] By Night
Pétillante et colorée, Nathalie nous éblouit avec ses écheveaux. Des couleurs plus jolies les unes que les autres. Le tout teint grâce aux merveilles qui se trouvent dans la nature.
Comment et quand as-tu appris à teindre ? Qu'est ce qui t'a donné envie de t'y mettre ?
Cela fait plus ou moins 5 ans que je pratique la teinture. C'est d'abord par curiosité que je m'y suis mise, juste pour voir ce que cela donnait. J'ai commencé assez classiquement par des pelures d'oignons. J'ai été tellement bluffée par le résultat que je me suis documentée et, dans les semaines qui ont suivi, presque toutes les plantes et arbres du jardins y sont passé. Depuis, je ne me lasse pas d’explorer, de tester, d’expérimenter.
Pourquoi t'es-tu lancée vers les teintures naturelles plutôt que les teintures classiques ?
Je n'en ai aucune idée. Je crois que je ne me suis même pas posé cette question. La teinture acide a l'air de nécessiter beaucoup de précision.
La teinture naturelle est un savant mélange de botanique, de chimie, de patience et de magie. Les teintes obtenues dépendent de tellement de paramètres : nature de la laine, âge de l’animal au moment de la tonte, date de cueillette de la plante, lieu de cueillette de la plante, nature de l'eau, température de cuisson, temps de trempage, nature du mordant, etc… c’est absolument passionnant et chaque jour, j’apprends quelque chose de nouveau.
Pourrais-tu nous raconter le processus de l'écheveau vierge au joli écheveau coloré final ?
Les étapes sont très nombreuses. Le processus que je vais expliquer concerne surtout les fils déjà filés et d’origine animale. C’est ce que je teins le plus souvent et les recettes pour les fibres végétales (coton, lin, ramie, etc) ne sont pas tout à fait les mêmes.
En gros les étapes sont les suivantes :
1. Lavage des écheveaux
2. Mordançage
3. Rinçage
4. Préparation de la décoction qui va servir de bain de teinture
5. Filtrage de la décoction
6. Teinture (enfin !)
7. Eventuel nuançage
8. Lavage
9. Rebobinage
10. Etiquetage et mise en vente
Ce processus se passe globalement sur une semaine et n’est pas figé. Toutes les plantes ne nécessitent pas que la laine soit mordancée. La préparation de la décoction peut durer de 1h à 5 jours en fonction des plantes ou de la partie de la plante utilisée. Par contre, dans quasi tous les cas, j’épuise complètement les bains. C’est-à-dire que tant qu’il y a encore du pigment dans l’eau, je procède à de nouvelles teintures. Je peux teindre jusque’à 3 ou 4 séries d’écheveaux dans un même bain de teinture. Ce qui permet d’avoir une foule infinie de nuances.
En teinture naturelle, la couleur n’est pas fixée après teinture. Le mordançage (du latin mordere - mordre) consiste à préparer la matière à teindre afin de fixer les pigments. Le mordant le plus utilisé est l’alun. Mordancer consiste à plonger les fibres lavées dans une solution d’alun (souvent additionnée de crème de tartre). D’autres sels métalliques ont été utilisés au fil du temps mais certains étant trop toxiques ou néfastes pour la nature, ils ont été abandonnés. Certains comme le fer ou le cuivre vont influencer la couleur obtenue. Personnellement, il m’arrive d’utiliser ces 2 derniers - en quantités minuscules - après la teinture pour nuancer la couleur. Du brun du chêne, on obtient du gris - voire du noir. Le beige de la fougère devient kaki.
Ces explications sont très réduites et schématisées. Tellement de paramètres rentrent en compte en teinture naturelle. La teinte peut être manipulée en modifiant le PH de l’eau dans le bain de teinture. La cochenille donne des tonalités de rose pâle à bordeaux en passant par le violet, le rouge, l’orange ou le fuschia en fonction de l’acidité du bain de teinture.
Comment trouves-tu tes matières pour teindre ?
Je travaille tout autant - et en fonction des saisons - avec les plantes qui m’entourent : grande chélidoine, ortie, fougère, tanaisie, pommier, bouleau, chêne, etc, qu’avec des plantes plus exotiques que j’achète sur des sites spécialisés.
L’avantage de pratiquer la teinture naturelle à l’époque actuelle est que nous avons accès aux connaissances et aux matières premières du monde entier.
Quelle laine préfères-tu travailler en teinture ? Est-ce la même que tu préfères tricoter ?
Je n’ai pas de préférence. Chaque laine que j’ai teinte jusqu’à présent - mérinos, yak, texel, alpaga, mohair/soie, bluefaced Leicester - réagit de façon légèrement différente et permet d’obtenir d'autres nuances.
Je n’ai pas de préférence non plus en matière de tricot, en fait. Chaque laine a un rendu différent et certaines conviennent mieux pour certains projets que d’autres.
Quel est le végétal dont la couleur de la teinture t'a le plus surprise ?
Je peux répondre tous ?!
C'est dangereux, comme loisir ?
Toutes proportions gardées, oui. On manipule des grandes quantités de liquide à des températures très élevées. Il faut donc être très prudent et éviter de le faire avec des enfants dans les parages.
De plus, il ne faut pas oublier que certaines plantes sont toxiques. Les feuilles de rhubarbe ou la tanaisie, par exemple, diffusent des émanations toxiques qui peuvent provoquer de fortes nausées.
Personnellement, je veille à travailler de la façon la plus propre possible et n’utilise que des produits ou plantes dont je sais que je peux verser les résidus dans mon jardin sans complexe ni crainte de lui nuire.
Y a-t-il des couleurs impossible à obtenir avec les teintures naturelles ?
Non - au contraire, je suis convaincue que jamais la teinture chimique n’arrivera à donner toutes les nuances de la teinture naturelle. Certaines couleurs, par contre, sont plus difficiles à obtenir ou coûtent très cher - parce que la plante est rare. D’autres nécessitent un procédé tout à fait particulier comme l’indigo et le pastel. La molécule tinctoriale bleue de ces plantes n’est pas soluble dans l’eau. A travers les âges et tout autour de la terre, la teinture du bleu a pourtant toujours été pratiquée - la plante variant en fonction des continents - et, partout, on a usé de stratagèmes différents pour arriver au même résultat : mettre des feuilles fermentées et réduites en poudre en contact avec la matière à teindre dans un milieu au PH très élevé et à l’oxygène réduit.
Par contre, contrairement aux idées reçues, aucune plante ne permet de teindre directement en vert. Pour cette couleur, on va travailler en plusieurs bains : d’abord du jaune (solidage, reseda ou gaude, par exemple) et ensuite, après lavage et séchage, on passe les écheveaux dans la cuve d’indigo.
Est-ce que la teinture végétale tient moins longtemps que la teinture classique et que peut-on faire pour conserver une jolie couleur le plus longtemps possible, à part protéger de la lumière ?
La teinture naturelle permet d’obtenir des couleurs vivantes, vibrantes qui n’ont rien à voir avec la teinture chimique. En fait, pour moi, la teinture naturelle est la teinture classique. Jusqu’en 1850, dans le monde entier, l’intégralité des textiles étaient teints de façon naturelle. Ce n’est que vers cette époque qu’un chimiste a pu isoler les molécules tinctoriales de certaines plantes et que, petit à petit, on est passé à la teinture chimique. Parce qu’elle est plus rapide, plus économique et que les couleurs peuvent être répétées quasi à l’infini.
Quoiqu’il en soit, toutes les plantes permettent de teindre. Mais toutes ne donnent pas des couleurs solides au lavage et à la lumière. Elles sont classifiées en plusieurs catégories : celles qui sont bon et grand teint (qui résistent aux 2) jusqu'à ce que l’on appelle petit teint (qui vont rapidement voire tout de suite perdre leur éclat). On retrouve des traces de teintures dans des fibres textiles datant de l’antiquité. Mais la majorité des fleurs et des fruits vont donner des teintes qui disparaissent ou s’étiolent au premier lavage. Le tout est de savoir ce que l’on veut obtenir comme résultat et à quoi va servir la fibre teintée. Dans mon cas, je ne propose à la vente que des laines teintes avec des plantes ou des insectes dont je suis sûre que la couleur va tenir dans le temps. Par contre, certaines vont encore varier. Les molécules tinctoriales des plantes sont tellement nombreuses et variées que certaines vont continuer à évoluer après teinture : le savon utilisé, le taux de calcaire dans l’eau, l’acidité peuvent faire changer ou évoluer une couleur.
Il est souvent conseillé d’ajouter du vinaigre dans l’eau de lavage pour fixer les couleurs. C’est parce qu’en teinture chimique, on travaille dans un milieu très acide. Ne le faites pas avec des fibres teintes de façon naturelle : vous pourriez voir la couleur complètement changer - voire disparaitre.
J’ai fait des essais avec de la racine de rhubarbe. En fonction du PH de l’eau, elle donne des tons allant de l’orange au bronze.
J’ai donc fait une décoction de racines de rhubarbe dont j’ai rendu le PH très élevé en ajoutant de la chaux éteinte. Ma laine, après cuisson, était orangée. Je l’ai rincée et fait sécher. J’ai ensuite plongé un écheveau dans de l’eau avec du vinaigre et la laine est devenue jaune ocre.
Un conseil pour ceux qui voudraient se lancer ?
Soyez curieux et patients !
Avez-vous déjà tricoté les fils de By night ? Que pensez-vous de ses jolies couleurs et des teintures naturelles ?!
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Que dire ? Les couleurs naturelles sont superbes, vivantes, riches, à la fois éclatantes et douces. Et non, je ne tricote pas ... Mais je teint parfois du tissu.
Ouha ça donne envie ces belles couleurs 😍
Très bel article
La nature est étonnante pour sa diversité et la façon dont on peut l'utiliser.
Bonne continuation.
Super article, je n'y connaissais rien en teinture, on en apprend autant sur la créatrice que sur la technique. Je ne pensais pas qu'il y avait autant d'étapes !
Qu'est-ce que c'est beau !
Là tout de suite, j'en mangerais ^^
Je suis fan de Nathalie (même si je sais que ça la hérissera de lire ça^^) ! J'ai deux de ses couleurs en stock et elles sont étonnante : mes écheveaux de campêche varient du mauve grisé au bleu violet en fonction de la lumière, pareil pour mes cachou/cochenille qui sont soit saumon, soit vieux rose... C'est toujours la surprise et perso ça me ravit !