Et sur ta marinière, je cherche...
Vous l'avez dans la tête pour la journée ? Ne me remerciez pas !
Intemporelles, à chaque printemps, elles envahissent les vitrines des magasins, nos écrans, notre imaginaire, pour nous faire rêver de ballades ensoleillées sous le vent de l'océan. Traditionnelles, revisitées, détournées, on aime passionnément, jusqu'à se ruiner en tissus rayés, ou on déteste, trop connoté...
Mais finalement, c'est quoi, une marinière ?
Photo @korrygwen
Définitions
Hormis la méthode de cuisson des moules, définition sur laquelle toutes les sources s'accordent, les dictionnaires ont des descriptions assez variées, avec comme point commun l'univers marin - prévisible !
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Le Robert
1 - (vêtement de marin) Blouse sans ouverture sur le devant et qui descend un peu plus bas que la taille.
2 - Maillot à rayures horizontales. -
Wikipedia
La marinière, aussi appelée tricot rayé, est un maillot de corps à manches longues ou courtes en jersey de coton à rayures horizontales étroites bicolores bleues et blanche. -
Larousse
Blouse ample, dégagée devant et souvent ornée d'un col carré dans le dos. - Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL)
Blouse ample et longue sans ouverture sur le devant.
photo viviane6276 via pixabay
Origine
Au cours du XIXe siècle, le mot "marinière" désignait un simple tricot porté à même le corps par les marins du bas de la hiérarchie, sous la vareuse. C'est donc un sous-vêtement, et même l'unique sous vêtement porté par les marins. Aussi appelé "tricot de corps", déjà à l'époque il est confectionné en jersey et n'est pas encore revêtu de rayures.
Protégeant du froid et du vent, la marinière est appréciée pour sa praticité et ne possède pas de boutons pour empêcher que les matelots ne s’accrochent aux cordages. Pour des raisons pratiques, mais aussi de décence, elle descend jusqu'aux cuisses afin de servir de protection sous le pantalon à pont côté face. Coté pile, elle permet de ne rien dévoiler lorsque les marins se penchent, chose fréquente à bord d'un navire ou sur les quais.
Apparition des rayures
La question des motifs rayés mériterait un article à elle seule. Son histoire symbolique est riche de rebondissements. Retenons qu'au Moyen-Age, elle représente désordre, transgression et malhonnêteté, et est donc réservée - parfois imposée - à ceux que l'ont doit éviter. Il faudra plusieurs siècles pour qu'elle gagne progressivement ses lettres de noblesse et devienne le symbole du monde marin et de son imaginaire.
Initialement, les matelots d'équipage - non gradés - n'ont pas de tenue codifiée, et viennent avec leurs propres vêtements dont seul le nombre est règlementé, contrairement aux officiers qui doivent se présenter en uniforme.
Le 27 mars 1858, un décret publié au Bulletin officiel de la marine définit dans les uniformes des matelots un tricot à l'encolure montante évasée et aux manches 3/4 (pour ne pas dépasser de la vareuse) rayé bleu et blanc, de manière précise :
« 21 raies blanches larges de 20mm et 20 ou 21 raies bleues larges de 10mm sur le corps ».
« 15 raies blanches et 14 ou 15 raies bleues pour les manches ».
Pourquoi ces rayures ? Plusieurs explications sont avancées, certaines sérieuses, d'autres, très répandues, tenant plutôt de la légende urbaine (mais tenace) :
Avant tout, les rayures permettent de désigner les simples matelots, par opposition aux gradés. Elles permettent par ailleurs de réduire l'utilisation de l'indigo, très cher, en alternant avec une couleur moins onéreuse.
Marin français vers 1910, domaine public, via Wikimedia Commons / Marinière de la Marine Nationale, Claude TRUONG-NGOC, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
La petite histoire raconte aussi qu'il est plus facile de repérer un marin tombé à la mer quand il porte des rayures...
Selon la rumeur, le nombre de 21 se rapporterait aux victoires de Napoléon. L'explication est plus terre à terre (pour des marins...). Le corps est tissé d'une seule pièce, la seule couture étant celle des manches, pour éviter tout risque d'accrochage. Le tricot devant descendre jusqu'en haut des cuisses, le nombre de rayures permet d'en définir la longueur.
Quant au flou sur le nombre de rayures bleues... Il ne serait que la conséquence de l'endroit où est coupé le tissu.
Du vêtement de travail à la mode intemporelle
C'est à Gabrielle Chanel qu'on attribue l'arrivée du tricot rayé dans le vestiaire féminin. Dès 1916, elle développe un style - déjà arboré par des personnalités du monde culturel - de blouse à col marin, alors appelée marinière. Elle n'a jamais inséré le tricot rayé dans ses créations, mais la façon dont elle le porte elle-même dans la période de l'entre-deux-guerres, associé à un pantalon à pont en jersey, donne le ton à une mode décontractée et androgyne, synonyme de liberté.
Gabrielle Chanel en marinière, domaine public, via Wikimedia Commons / Photo de Brigitte Bardot. Crédits : ABACA via Marie Claire
Cette esthétique est reprise en 1963 dans Le mépris de Jean-Luc Godard, où la marinière portée par Brigitte Bardot devient emblématique du film.
Le premier à la présenter dans un défilé de haute couture est Yves Saint Laurent en 1966, où elle se décline en robe, ornée de paillettes et sequins. Une dizaine d'années plus tard ce sera au tour de Jean-Paul Gaultier de se l'approprier et d'en faire l'un des emblèmes de son style.
Pour aller plus loin
- en vidéo :
La marinière, du matelot au mannequin, France Culture / La marinière - Karambolage - ARTE
- en mode sourire
- en livres : voir bibliographie en fin d'article.
Et vous, comment définissez-vous la marinière ? À quel moment parlez-vous de marinière ou de vêtement à rayures ? Fait-elle partie de vos essentiels, ou au contraire la fuyez-vous à tout prix ?
Sources :
Michel Pastoureau, L'Etoffe du diable, Points, 2014.
Collectif, Véronique Alemany (dir), Les marins font la mode, Musée National de la Marine / Gallimard, 2009.
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Merci korrygwen pour cet article fort intéressant. Je n'ai pas été étonnée quil ait été écrit par toi ; tu as réalisé tellement de jolies marinières !
Pour ma part, j'adore ce vêtement mais, malheureusement, il ne me va pas : les rayures horizontales ne mettent pas en valeur mon buste grassouillet. Alors, j'en fais pour les autres : mon mari et ma fille sont ravis (ça me fait penser que certaines n'ont pas encore été postées ici)
Michel Pastoureau a aussi écrit « Rayures, une histoire Culturelle ». J’ai retrouvé les mêmes phrases !
Ce qui est dommage, c’est de ne pas trouver des lignes orange ou rouges en jersey et verticales mais alors ce ne sera plus style marinière !
Merci pour cet article.
Merci pour cet article passionnant !
Je déteste les marinères et les rayures de façon générale mais j'ai beaucoup aimé l'article ! Le livre de Michel Pastoureau est passionnant !
Moi je les adore, au contraire, tout comme les pois, même si je n’assume pas nécessairement ces derniers. Merci pour cet article intéressant, Korrygwen!
L'autrice parfaite pour écrire un article sur les marinières J'en porte souvent, c'est tellement facile à assortir.
Bel article sur l'un de mes vêtements préférés, merci !
A mes yeux la marinière est une pièce aussi effrontée que classe : tout à fait le style de Chanel et Bardot !
Merci pour cet article. Un vêtement indispensable pour moi. Mes petits gars en portent souvent aussi.
Tout trouvé le trait d'union 😄 avec cet article qui ne pouvait être écrit que par toi.
C'est très intéressant cette revue historique et comment il est revenu dans la mode.
Pour ma part, pas très marinière classique. Par contre un tissu marinière détourné dans une coupe originale pourrait me plaire de par le jeu de rayures que l'on peut faire.
merci Sabine pour la référence. Je le connaissais mais ne l'avais pas cité car ce n'est pas sur cet exemplaire que je m'étais appuyée pour l'article, mais l'ensemble de l'oeuvre de Michel Pastoureau est passionnante... même si effectivement certains opus se répètent.
Mon mari vous dirait (s'il était là, s'il avait la parole,si...) que j'en ai 12... ce qui est presque vrai.
J'ai un problème avec les rayures en général et avec la marinière en particulier que je pourrais porter tous les jours quelles que soient les circonstances.
Bref, j'ai adoré l'article. Merci beucoup !