[Interview] Melissa Fehr
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire tout le bien que je pense des patrons FehrTrade dans un précédent article, cela m'a donné envie d'interviewer la créatrice de cette petite marque qui grimpe, Melissa Fehr.
Commençons par le commencement : qui es-tu ? Quand as-tu commencé à coudre et à patronner ?
La réponse la plus simple est sans doute celle que j'utilise pour mon compte twitter : je suis une expatriée (ndlr : Melissa est américaine et vit au Royaume Uni) qui court, qui coud et vit sur un bateau. J'ai commencé à coudre peu après avoir emménagé au royaume-uni en 2002. J'ai commencé à tracer quelques patrons en 2011/2012, mais ce n'est que quand j'ai lancé ma marque en 2013 que je me suis professionnalisée. FehrTrade Patterns a vue le jour quand j'ai été licenciée de l'emploi que j'exerçais depuis 12 ans. J'ai réalisé qu'il y avait une énorme demande pour des patrons de sport bien pensés, c'est tout naturellement que j'ai décidé de combiner mon amour de la course et de la couture, et de partager mes connaissances avec le plus grand nombre.
Dans son ensemble préféré (VNA top et Duathlon shorts), Melissa a participé au British Transplant Games et remporté 4 médailles d'or et une d'argent.
Pourquoi avoir choisi de créer des vêtements de sport ?
Tout d'abord, j'adore coudre les tissus extensibles ! Ils sont confortables, flatteurs, on a à peine besoin de les repasser durant la couture et ils sont super rapides à assembler quand comme moi on a une surjeteuse et une recouvreuse. Les vêtements techniques sont parmi les rares pièces d'habillement qu'il est réellement plus économique de coudre soi-même au lieu d'aller les acheter en magasin, et il s'avère que j'avais beaucoup de demande de la part d'amis coureurs qui souhaitaient savoir où se procurer mes créations.
L'offre de patrons de jupes, robes et t-shirts est saturée, mais on trouve très peu de modèles spécifiquement conçus pour la pratique sportive. Mis à part évidemment les patrons Jalie, dont je suis moi-même une énorme fan.
Quelles sont les spécificités de ces vêtements ?
La grande différence entre les vêtements techniques et "normaux" c'est que ces derniers sont dessinés afin de bien tomber quand on est debout ou assis. Au contraire, pour créer des vêtements techniques il faut réfléchir à l'intégralité des mouvements que votre corps va faire lors de l'exercice : la position du torse et des bras quand on s'assied sur un vélo par exemple, ou la façon dont les genoux remontent quand on court. Parmi mes patrons, le Threshold Shorts a été pour moi un vrai défi à dessiner car il nécessite un excès de tissu devant pour permettre aux jambes de monter, tout en étant ajusté dans le dos afin d'être flatteur. Mais au bout de 5 mois de travail j'ai obtenu un patron dont j'étais tellement sûre que j'ai couru avec le marathon de Berlin, le test ultime pour n'importe quel vêtement de sport.
Melissa lors du marathon de Berlin, elle porte son short Threshold lavande.
Pour l'instant, tous tes patrons sont destinés aux femmes. Envisages-tu d'en créer aussi pour les hommes ?
C'était mon plan dès le début, mais très tôt j'ai été confrontée à des problèmes qui m'ont fait remettre à plus tard la sortie de modèles masculins. Pour tout dire, il n'existe aucun livre de patronage qui explique comment gérer (hum) l'anatomie masculine pour un vêtement moulant au niveau de l'entrejambe. Aucun ! Tous les livres de patronage destinés aux hommes semblent considérer que ceux-ci ne portent que des pantalons larges ou des jeans, et pourtant dans mon groupe d'entrainement, je vois chaque semaine une centaine d'hommes qui prouvent que ce n'est pas le cas.
Mais je suis heureuse de dévoiler que mon prochain patron (qui devrait sortir vers Noël) sera disponible en version masculine et féminine. Mon mari est ravi qu'après toutes ces années je lui couse enfin des vêtements pour faire du vélo !
Le tout premier ensemble cousu avec les tissus créés sur mesure pour ses patrons par l'illustrateur Laurie King.
Tes patrons vont de la taille XXS à XL, ce qui est déjà bien. Penses-tu à l'avenir aller jusqu'au XXXL ou est-ce trop compliqué de patronner pour les plus grandes tailles ?
J'ai déjà eu des demandes en ce sens, et j'aimerais vraiment avoir les moyens de créer pour toutes les femmes qui souhaitent faire de l'exercice. Quand j'ai commencé à courir il y a 11 ans de cela, moi aussi je m'habillais en grande taille, et je me souviens bien d'à quel point l'offre dans le commerce est faible quand va au-dessus de la taille 42. Mes amies qui s'habillent en taille plus m'ont confirmé que, hélas, peu de choses ont changé depuis.
Donc quand je me suis lancée, il était évident pour moi que je devais fournir un éventail de tailles assez large pour que les femmes fortes se sentent à leur avantage en faisant du sport. En fait j'ai même vu trop grand car j'ai reçu beaucoup de réclamations des femmes les plus fines, ce qui m'a amenée à rajouter la taille XXS.
J'en ai déjà parlé sur mon blog : il y a de nombreux points à prendre en compte dans le développement d'un patron, ce qui malheureusement limite le nombre de tailles que je peux proposer. Pour chaque taille, il faut du temps pour graduer et vérifier chaque pièce du patron, calculer la longueur des élastiques... Quand on travaille sur la gradation d'un patron, on ne peut monter et descendre que de quelques tailles, sinon la forme générale finit par se distordre. Je suis déjà à ma limite par rapport à ma taille de base, le S, qui me va parfaitement et me permet donc de tester avec soin mes modèles. Certaines marques de patrons contournent ce problème en créant à partir de deux bases, l'une "normale" et l'autre en grande taille, mais je n'en suis pas encore à un stade où je peux me le permettre.
Ensuite, il y a le problème du nombre de pages à imprimer (ndlr : pour l'instant les patrons FehrTrade ne sont disponibles qu'en PDF) : même si en théorie il n'y a pas de limite, les gens se découragent en général à partir d'une vingtaine de pages à scotcher. Les pièces de mes patrons sont placées pour rentabiliser au maximum le papier, ajouter une taille (qu'elle soit plus petite ou plus grande) impliquerait plus d'impressions pour tout le monde. Enfin la phase de test est elle aussi un souci, car bien qu'il y ait des sportives qui s'habillent en grande taille il est plus difficile d'en trouver qui soient à l"aise avec la couture de tissus techniques. Chacun de mes patrons est testé plusieurs fois dans chaque taille, et j'ai déjà du mal à trouver des couturières pour tester le L et le XL (surtout que mes testeuses maigrissent à force de faire tant d'exercice).
À chaque fois qu'elle court le Bacchus half-marathon, Melissa dégaine sa tenue de marin home made.
Penses-tu un jour faire traduire tes patrons en français et dans d'autres langues ?
Oui ! C'est quelque chose que j'ai très envie de mettre en place, d'ailleurs mon dernier patron a été écrit de façon à rendre les futures traductions plus faciles. À première vue cela ne se remarque pas, mais j'ai par exemple fait attention à ce qu'il n'y ait rien d'écrit dans les dessins explicatifs. Je ne peux pas donner de date précise pour la sortie de patrons en français mais je vous promets que cela fait partie de mes plans pour l'avenir.
Revenons à ce nouveau patron qui sortira vers Noël, peux-tu nous en dire plus ?
Je ne peux pas entrer dans les détails mais vous savez déjà qu'il s'agira d'un modèle mixte. Je peux en plus annoncer qu'il conviendra à la fois pour l'été et l'hiver, ainsi que pour 4 sports différents au minimum. Il s'agit d'un patron très versatile et présenté avec diverses options, donc il devrait être facilement déclinable.
Quand elle coud pour le plaisir, Melissa est fan des magazines de patron Burda et Mannequim, et elle n'a pas peur de copier la série Sherlock.
Est-ce que tu couds et portes tous tes patrons ? En fait, as-tu encore le temps de coudre pour toi ?
Bonne question. Depuis que c'est devenu mon métier, je fais une différence entre "couture pro" (quand je travaille sur mes modèles ou couds des vêtements sur commande) et "couture fun". Là je dégaine la machine pour me faire plaisir et remplir mon armoire.
Quand je développe un patron, j'en couds plusieurs versions au fil des mois jusqu'à ce qu'il tombe parfaitement, puis encore par la suite alors que je rédige les instruction, donc je peux vraiment me lasser d'un modèle. C'est pourquoi il est si important que je fasse la différence avec la "couture fun", sinon je crains que le fait d'en avoir fait mon travail ne tue tout le plaisir que j'ai à coudre. Je viens justement d'avoir mon premier week-end libre depuis un mois, j'en ai profité pour me coudre un sweat-shirt, une jupe en jersey et une paire de leggings, en plus de courir 20 km à travers un parc en portant ces fameux leggings.
Melissa s'est cousu cette incroyable veste agrémentée d'ampoules LED pour courir la nuit en toute sécurité. Patron de la veste Steffi, Style Arc patterns.
Qu'est-ce que tu aimes et détestes en couture ?
J'adore le fait de pouvoir passer du temps à coudre des vêtements qui me vont, sont exactement tels que je les souhaite, dans le style et les couleurs qui me plaisent. Je préfère de loin passer mon samedi devant ma machine plutôt que m'engouffrer dans un métro bondé pour chercher des fringues dans des boutiques qui ne me correspondent pas vraiment et les essayer dans des cabines désagréables, puis faire la queue pour payer avant de retourner dans le métro bondé. C'est l'équilibre entre la façon dont je passe mon temps et le résultat final qui me plaît, tout comme la joie toute simple de porter ce que j'ai fabriqué.
Ce que je déteste par-dessus tout c'est fixer l'entoilage thermocollant. C'est tellement ennuyeux, alors qu'à ce stade j'ai simplement envie de coudre. Par la suite, j'ai beaucoup de mal à laisser partir les vêtements que je me suis fait : j'aimerais avoir mon propre musée pour pouvoir tout garder, mais il faut bien faire de la place dans l'armoire pour les nouveaux projets. C'est un vrai déchirement de donner mes vêtements aux œuvres de charité mais c'est nécessaire. Parfois je me demande ce qu'ils deviennent, si quelqu'un a remarqué l'étiquette et a eu la curiosité de taper "Fehr Trade" dans un moteur de recherche afin de découvrir l'histoire derrière ce vêtement.
Le superbe détournement du top XYT de FehrTrade par Heather-Lou, la créatrice de Closet Case Files.
As-tu une devise ? Que ce soit pour la couture ou la vie en général...
Ce n'est pas vraiment une phrase choc, mais ma technique pour gérer le stress quotidien c'est de me demander "Est-ce que je peux y faire quelque chose ?". Si c'est possible alors je fais le nécessaire pour arranger les choses. Sinon je me force à arrêter de m'en faire à ce sujet, car si je n'ai aucun contrôle dessus, alors à quoi bon passer du temps à y penser et dépenser mon énergie ? C'est ma façon d'être une meilleure personne, plus légère mais capable de prendre les choses en main quand c'est possible.
Pour en savoir plus :
- Les patrons FehrTrade
- Le blog de couture de Melissa
- ... et son journal de bord de coureuse
- Les tissus créés par Laurie King sur mesure pour les patrons FehrTrade, disponibles chez Spoonflower
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Merci pour cette chouette interview ! :)
Et je me réjouis de la sortie de ses patrons en français !!!! :)
Dis donc, ça me donnerait presque envie de me mettre au sport! ;)
Géniale cette interview en images !
Merci pour l'article! Quelle chouette marque!
Je lis régulièrement son blog, ses avis sur les sorties magazines etc... J'aime beaucoup son style.
Je suis fan de la veste avec les LED !
Superbe interview !
Très agréable interview. Et la tenue de marin est vraiment jolie.
Merci pour cet entretien. Cela m'a permis de découvrir cette créatrice que je ne connaissais pas et un monde de possibilité s'offre à moi.
Par contre je me demande où trouver des tissus techniques pour pouvoir réaliser des vetements aussi pratiques/respirants... que ceux du commerce. Avez-vous des adresses ?