[Artiste] Dans le dressing de Niki de Saint Phalle ...
Sur le point de clore notre concours Art Cousu (plus que 3 jours !), nous vous proposons aujourd'hui le témoignage d'une needlenaute : Clarice nous livre un portrait intime de l'artiste Niki de Saint Phalle dans ses rapports à la mode et au vêtement ...
Lorsque j’ai rencontré Niki de Saint Phalle, elle était dans la "belle cinquantaine" comme disait Colette. C’était en 1988 (j’ai travaillé pour elle pendant 10 années). Niki accordait beaucoup d’importance à ses tenues. Elle aimait s’habiller.
Elle était certainement une pionnière de la "customisation". J’ai le souvenir d’un certain sac Hermès classique que lui avait offert Jean Tinguely (son époux-artiste-complice) d’un beau cuir vert sombre, complètement transformé dès le lendemain en un sac joyeusement décoré, fleuri avec des décalcomanies et autres collages. En fait, Niki avait plusieurs styles - sauf « BCBG » !
Photos : Leonardo Bezzola - collections privées
Son style "flamboyant" des années 70 et 80 : en témoignent les photos des vernissages, comme celles du lancement de son parfum à New York où elle est photographiée avec Andy Warhol dans une tenue ... "supercalifragilisticexpialidocious", celles du vernissage de la Fontaine Stravinsky en 1988 où elle arbore un magnifique chapeau à plumes. Certaines de ses tenues étaient réalisées selon son goût, à Londres, par Thea Porter, couturière-styliste des « Rolling Stones ». J’ai d’ailleurs "hérité" d’une superbe veste en velours bleu nuit très cintrée avec des sequins et des paillettes qu’elle m’avait donnée un jour de "rangement" ...
Un style sophistiqué, chic et « stylish » ...
Puis un style, je dirais, "androgyne". On la voit souvent en jean et pull marin (bien avant la mode de JP Gauthier), sur des photos prises lors de la construction du «Cyclop» - œuvre monumentale à Milly la Forêt - ou en combinaison "Barbarella" lors du vernissage de ses premiers Tirs.
Un style champêtre et naïf aussi, avec sa petite robe noire fleurie et chapeau de paille (il y a une célèbre photo de famille du photographe Laurent Condominas où elle est avec sa mère, sa fille et sa petite-fille). Et sa jolie robe en Vichy avec de la broderie anglaise (photo du vernissage de ses Tirs en 1961).
Dans les années 70, elle a eu bien sûr sa période orientale, indienne avec des foulards, des turbans, des perles à la Mata Hari. Elle aimait bien se mettre en scène, se draper dans des châles souvent très colorés. Je me souviens aussi qu’on lui ramenait d’Autriche de grands châles carrés brodés et à franges, bien avant la mode. Elle portait aussi des étoles ...
Photo Giulio Pietromarchi
Mais ce qu’elle adorait par-dessus tout, c’était les chapeaux. Elle en portait tout le temps, de tous les styles et de toutes les matières. On l’a vue avec un "bibi" à voilette, où elle est vraiment très belle. On l’a vue avec un grand turban tressé en velours bordeaux. On l’a vue à l’inauguration de la fontaine Stravinsky avec un magnifique béret à plumes. On l’a vue aussi, tellement attendrissante, avec un chapeau de cow-boy en 1999 à San Diego, en compagnie de Billy Wilder. Pour ses chapeaux chics, elle avait institué un troc avec Marc Bohan (Christian Dior). La styliste, Charlette, créait des modèles spécialement pour elle. Je me souviens aussi d’un concours de chapeaux qu’elle avait institué lors de son vernissage à la galerie JGM en 1989. Toutes les femmes rivalisèrent d’originalité... La gagnante reçut un dessin original.
Elle avait été mannequin quelques temps chez Dior dans les années 50 et fait la couverture de Life et de Vogue. C’était alors une toute jeune américaine arrivée à Paris. Elle avait ce genre de beauté - à la Grace Kelly ! Lorsque je l’ai rencontrée en 1988, elle était sans doute plus classique. Elle avait de ces petits tailleurs Fendi ou Valentino, (à tomber !) qu’elle "accessoirisait" bien sûr allègrement avec des éléments très colorés, foulards, même des fleurs. Les couturiers italiens étaient ses préférés. Elle était souvent à cette époque en Toscane pour la création du Jardin des Tarots - l’œuvre de sa vie !
Plus tard, lors d’une période de tristesse, j’ai vu ses goûts changer, son style devenir plus épuré, comme les modèles de Jil Sander, ou les tailleurs-pantalons Armani ou même des vêtements plutôt sportswear. Elle était grande et elle est toujours restée svelte. Sa silhouette n’était pas du tout celle de ses "Nanas" ! Je me souviens aussi qu’elle portait souvent des leg warmers (guêtres) très en vogue dans les années 80, qu’elle enfilait par-dessus ses pantalons, comme les danseuses. Une de ses fans hollandaise lui en tricotait de superbes. Elle portait plutôt des chaussures plates, des bottines, ou des bottes ou carrément des baskets. De magnifiques chaussettes qu’elle tailladait sans état d’âme en haut parce que « ça la serrait » disait-elle. Le confort comptait autant que l’esthétique, en tout cas à l’époque où je l’ai connue.
Photos Houston Chronicle 1982 / Gettyimages NYTimes
Par contre quand elle travaillait dans son atelier, elle s’en fichait pas mal ! Je la vois encore dans sa blouse « rooooze », mélange de coton et de polyester avec des pressions métalliques. En fait, elle n’était pas snob. Elle ne craignait pas du tout le regard des autres. Je me souviens de ses départs en Italie : un taxi l’attendait devant le portail pour l’amener à la gare de Lyon (elle préférait les wagons-lits aux avions). Elle avait des bagages classiques bien sûr, mais au dernier moment elle s’emparait d’un ou deux sacs plastique "Carrefour" dans lesquels elle entassait une brosse à cheveux, un carnet de croquis, une banane, quelques billets de banque et des crayons de couleur ... et je souriais en pensant aux petits sacs de marque ignorés dans ses placards ! Une désinvolture naturelle, innée !
Lors des années 90, elle s’habillait plutôt chez Kenzo, et Chacok (une marque que je lui avais fait découvrir avec un cadeau que je lui avais amené en Californie lors de mes séjours de travail. Chacok lui a offert ensuite d’autres articles : privilège de stars ! En fait, je ne l’ai jamais vue dans des tenues de couturiers dîtes "haute couture", à des prix faramineux. Elle aurait pu se les offrir bien sûr, mais ce n’était pas son truc. Je me souviens même l’avoir entendue culpabiliser de s’être acheté plusieurs tenues « dont elle n’avait pas vraiment besoin » disait-elle. Elle n’était pas frivole, mais elle a toujours aimé les jolies choses. Lors de ses propres vernissages, elle portait aussi bien des T-shirts et des foulards dont elle avait conçu le graphisme. Elle avait une amie à Paris à qui elle commandait des vêtements sur mesure et selon ses goûts. Je me souviens entre autres d’un superbe pantalon brodé avec des paillettes. En 1994, lorsqu’elle est retournée vivre aux USA, en Californie, elle a en partie retrouvé son style "bohémien", celui qu’elle préférait, avec des couleurs vives, mais avec un souci de confort.
1990 : Niki et Clarice en plein travail (Niki à gauche - Clarice à droite)
Elle se maquillait presque tous les jours, discrètement. Certainement le souvenir de sa mère qui était, me disait-elle, très coquette. Elle évoquait LA petite boite de "rimmel" avec la petites brosse que l’on mouillait avec de la salive pour mieux l’appliquer sur les cils ! Elle a dû porter des lunettes pour lire et travailler, et elle les commandait par douzaine (la stupeur de l’opticien !!!). Toujours le même modèle, tout simple, de préférence rouge et en plastique. Il faut dire qu’elle les oubliait partout. Ces petites excentricités m’amusaient beaucoup. Faire des courses avec elle, c’était un poème !!! Et j’ai bien aimé aussi l’accompagner aux soldes privées d’Armani !!! J’avais la chance d’avoir la même taille qu’elle et j’ai souvent profité des moments où elle "faisait de l’ordre" (c’était son expression) dans ses placards.
Elle a eu des offres pour créer une ligne de couture, mais elle n’y a jamais donné suite. Par contre elle a créé un parfum qui est toujours vendu dans de magnifiques flacons en verre bleu, émaillés de ses motifs – "des collectors". Elle a dessiné aussi de très beaux foulards en étamine de laine et en soie, tous plus beaux les uns que les autres.
Niki était une grande dame et, une sacrée Nana ! Ne manquez pas son exposition-rétrospective actuellement au Grand Palais à Paris jusqu’au 2 février 2015.
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Quelle belle femme, dans tous les sens du terme, merci pour cet article :)
très intérressant cet article, joli portrait de cette artiste
chouette portrait, tellement plus personnel et attachant que ce que l'on trouve habituellement! :-D Et quelle chance Clarice, d'avoir pu côtoyer cette grande dame!
merci pour cet article documenté "de première main"
Merci pour cet article très intéressant !
merci pour ce bel article très intéressant :)
Très chouette article ! Et quelle chance d'avoir pu travailler avec elle ! :)
Merci pour ce bel article !
Merci pour cet article génial ! J'adore Niki de Saint Phalle depuis longtemps. Et ses chapeaux !!! Je suis modiste alors je me régale...
J'ai été voir l'expo récemment. Cet article la complète de façon très intéressante! Quelle chance d'avoir pu travailler avec elle, cela a du être une femme géniale!
Je suis fan de Niki, certaines personnes ne comprennent pas pourquoi. Moi j'aime son coté complètement loufoque, son monde très coloré et complétement décalé de la vie. Quelle aubaine d'avoir travaillé avec une telle femme et merci pour cette article qui est intéressant et très "intime" !
J'adore, beau portrait !
Fascinant, merci pour ce beau portrait.
Merci pour ce magnifique portrait !!!!!!!!!!!!!