[Théâtre et tricot] Antigone d'Anouilh
Mais pourquoi donc causer théâtre par ici ? Surtout s'il s'agit de cette pièce sublime et qui vous prend aux tripes qu'est Antigone.
Et bien parce je l'ai revue récemment, et comme toujours j'ai été touchée par cette allégorie de la résistance, écrite par Anouilh durant l'occupation et dans laquelle on suit les dernières heures de la jeune Antigone, fille d’œdipe, allant enterrer son frère contre toutes les lois. Et contre toute logique puisqu'il s'agit d'un geste vain, uniquement destiné à ne pas céder face à des lois iniques.
Vous ne connaissez pas ce texte ? Alors foncez le lire, l'entendre. Vous le connaissez déjà ? Alors sans doute avez-vous une petite idée du passage que je vais citer bientôt, mais remettons déjà les choses dans leur contexte : À la mort de leur père les deux fils d’œdipe se sont fait la guerre, refusant de partager le pouvoir pour le bien du peuple. Après une bataille qui aura coûté cher à Thèbes ceux-ci meurent en s'affrontant, l'un est enterré car jugé héroïque, le second maudit par le nouveau Roi, Créon, leur oncle, qui déclare que quiconque osera lui offrir les derniers hommages sera condamné à mort.
Leur petite sœur Antigone, bien que fiancée au fils de Créon, va alors décider de s'opposer à ce roi faible qui reconnaît faire ce sale boulot "parce qu'il faut bien que quelqu'un le fasse". Evidemment cette histoire finit mal pour l'héroïne : par deux fois elle se faufile pour recouvrir Polynice de terre, la seconde fois Créon n'a d'autre solution que de la condamner pour l'exemple. Poussant au passage son propre fils Hémon à se suicider, puis faisant une dernière victime ....
Créon entre avec son page :
Je les ai fait coucher l'un près de l'autre, enfin ! Ils sont lavés, maintenant, reposés. Ils sont seulement un peu pâles, mais si calmes. Deux amants au lendemain de la première nuit. Ils ont fini, eux.
Le Chœur : Pas toi, Créon. Il te reste encore quelque chose à apprendre. Eurydice, la reine, ta femme...
Créon : Une bonne femme parlant toujours de son jardin, de ses confitures, de ses tricots, de ses éternels tricots pour les pauvres. C'est drôle comme les pauvres ont éternellement besoin de tricots. On dirait qu'ils n'ont besoin que de tricots...
Le Chœur : les pauvres de Thèbes auront froid, cet hiver, Créon. En apprenant la mort de son fils, la reine a posé ses aiguilles, sagement, après avoir terminé son rang, posément, comme tout ce qu'elle fait, un peu plus tranquillement peut être que d'habitude. Et puis elle est passée dans sa chambre, sa chambre à l'odeur de lavande, aux petits napperons brodés et aux cadres de peluches pour s'y couper la gorge, Créon. Elle est étendue maintenant sur un des petits lits jumeaux démodés, à la même place où tu l'as vue jeune fille un soir, et avec le même sourire, à peine un peu plus triste. Et s'il n'y avait pas cette large tache rouge sur les linges autour de son cou, on pourrait croire qu'elle dort.
Créon : Elle aussi. Ils dorment tous, c'est bien. La journée a été rude. (Un temps. Il dit sourdement) Cela doit être bon de dormir.
Le génie d'Anouilh c'est décidément d'arriver encore et toujours à faire rire et pleurer en une seule réplique. Parce qu'on ne m’ôtera pas de l'idée que sa femme, à Anouilh, c'était une tricoteuse du genre enragée, un membre de cette grande secte dont l'hymne est depuis toujours cette phrase (dont mon propre copain a sacrément marre d'ailleurs) : "je finis mon rang et j'arrive !"
Je me dis que ça a dû le démanger pendant longtemps d'arriver à coller cette réplique dans une tragédie, qu'est-ce que vous en pensez ?
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Que j'ai relu Antigone il y a quelque mois, et que la remarque sur le tricot m'avait marquée en effet...
Ta réflexion doit être très juste :mrgreen:
J'ai vu cette pièce pour la première fois il y a quelques mois, en palestinien (mais celle de Sophocle, pas Anouilh), et j'ai été frappée par sa modernité. Ton article me donne envie de lire le texte d'Anouilh !
J’ai adoré ce livre, je l'ai tellement aimé que j'ai lu la version de Sophocole
Je n'ai pas eu l'occasion de le lire... mais ta remarque sur le tricot est SI juste !!
Mes 3 hommes à demeure ne supportent plus non plus mon "Je finis mon rang d'abord !!" :-D
Ils ne peuvent pas comprendre.
Le texte d'Anouilh est magnifique, je le conseille à toutes les needlenautes !
Je ne me souvenais pas de ce passage, mais effectivement, la petite précision "je finis mon rang avant de me trancher la gorge" est assez savoureuse et laisse à penser que la femme d'Anouilh tricotait?
J'ai commencé le tricot il y a à peine plus d'1 mois et mon Chéri en a déjà marre de "Je finis mon rang et j'arrive!" :-)
Je ne peux même plus dire "je finis mon rang et j'arrive" parce que maintenant mon mari anticipe : "tu as bientôt fini ton rang ?" ou "finis ton rang et viens à table" sont ses nouvelles répliques !
Heureusement que tu es là pour pointer ce détail savoureux, dans ce texte sublime. Merci!
Oh du coup, ça me donne envie de le relire !!! Je suis assez d'accord, seul quelqu'un l'ayant vécu peut comprendre le fameux "je finis mon rang et j'arrive ! " Mais peut-être était-ce la mère d'Anouilh qui tricotait et non sa femme : mon fils ayant pris la fâcheuse habitude de dire :"oui je sais tu finis ton rang d'abord !!!"
Ah... le génie d'Anouilh qui sait donner des lettres de noblesses aux petits détails du quotidien, aux phrases et mots tous simples pour en faire des chefs d’œuvre...
ah... merci, ça me donne envie de relire mes classiques...