[Discussion] La perfection est-elle de ce monde ?

Par Saki le 6 juin 2012 dans Discussions

Je vais commencer par faire mon coming out : je n'ai jamais réussi à coudre un projet parfait. Ja-mais.

Vous me comprendrez sans doute quand mes proches en sont incapables, car eux me traitent de folle-dingue quand j'explique que je ne suis pas parfaitement satisfaite d'un vêtement qui leur semble nickel. Une couture qui zig-zag par endroits, une doublure qui ne tombe pas parfaitement, le dos qui baille un chouïa, des pinces qui ne sont pas symétriques... Ça vous rappelle des souvenirs ? Je ne sais pas pour vous mais parfois je ne vois plus que ça, me retrouvant obnubilée par des choses que personne d'autre ne semble voir. J'ai cousu des fringues dont je suis très fière, dont je sais qu'elles ont un bon rendu, mais je n'ai jamais réussi le sans faute et ça commence à me tracasser mine de rien.

Il y a plusieurs explications à cela, à commencer par la plus simple : s'il y a des défauts c'est qu'il faut s'améliorer. Bon. Ok. D'accord mais ça on se doute bien que j'essaie déjà d'y arriver, j'y arrive d'ailleurs à force de bosser mais le souci c'est qu'à chaque nouveau niveau atteint vlan, sortis de nulle part de nouveaux problèmes de finition me tombent sur le coin de la tête, car voila le vrai problème : à chaque fois qu'on passe un pallier le niveau d'exigence augmente lui-aussi.

C'est vrai ça, en débutant qui se soucie d'avoir cousu des pinces légèrement asymétrique franchement ? On s'en fout comme de son premier découd'vite tellement on est fier d'avoir fait de ses mains un vêtement portable. Non, ce qui fait froncer du nez ce sont les gros trucs, comme par exemple une couture qui saute parce qu'on n'a ni surjeté ni laissé suffisamment de marge, le tout sur un tissu qui s'effiloche plus vite que la lumière parce qu'on n'y connaît rien en fait. Ces gros trucs sont un peu comme l'arbre qui cache la forêt : une fois qu'on a passé ce stade on découvre l'ampleur du travail pour obtenir un rendu parfait. Parfois ça donne envie de se cogner la tête contre les murs mais en général tous ces défis sont motivants : à chaque problème il faut trouver la solution qui correspond, c'est ce qui fait de la couture un loisir aussi passionnant.

Il existe une autre explication au fait de n'être jamais satisfaite, celle que répètent en boucle mes amis qui n'y connaissent rien (et donc ne repèrent pas les erreurs discrètes) : d'après eux je serais trop exigeante. Franchement autant le dire tout de suite je ne suis pas d'accord du tout. La vérité vraie c'est que quand quelque chose est raté c'est raté. Point. Je pence que vous serez d'accord avec moi pour dire que quand on se lance dans quelque chose il faut le faire bien. L'à-peu-près n'est pas très satisfaisant, c'est la perfection qu'il faut viser. Et si à chaque fois qu'on pense se rapprocher on la voit s'éloigner encore un peu je me dis que c'est tant mieux en fait car c'est ce qui fait avancer.

Voila, je n'ai jamais cousu un projet parfait, mais finalement est-ce que c'est déjà arrivé à quelqu'un et surtout est-ce une si mauvaise chose à votre avis

Tout cela me rappelle un très beau texte du dessinateur japonais Hokusaï (1760-1849) :

"Depuis mes 5 ans, j'ai eu la manie de fixer la forme des objets. Vers 50 ans j'avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j'ai produit avant 70 ans ne vaut pas d'être compté. C'est à 72 ans que j'ai enfin compris à peu près la véritable structure de la nature, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons, des insectes. Par conséquent à 80 ans j'aurai fait encore plus de progrès, à 90 je pénètrerai le mystère des choses ; à 100, je serai décidément parvenu à un degré de merveille et quand j'aurai 110 ans, que ce soit un point ou une ligne, tout sera vivant sous mon pinceau. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de vérifier si je tiens parole."

Katsushika Hokusaï, Mer déchaînée au large de Choshi dans la province de Shimosa, 1833.

A propos de l'auteur : Saki

Autodidacte, touche-à-tout et téméraire, Saki est une crash-testeuse de l'extrême doublée d'une artiste talentueuse.

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Commentaires

Monique (il y a 12 ans, 8 mois)

Très bel article, j'avais une prof de couture qui nous répétait sans cesse " la petite imperfection ? c'est ce qui rend votre vêtement unique, et pas fabriqué par un robot !" Evidemment elle ne parlait que d'imperfections que personne , à part nous, ne voyait.

Soph (il y a 12 ans, 8 mois)

Sympa cet article. Je me sens moins seule: en le lisant, j'avais l'impression que tu me décrivais. Ce n'est donc pas moi qui suis trop exigeante, trop perfectionniste?!?
Comme la prof de couture de monique a., j'essaie de me dire que ces petites imperfections rendent mon vêtement unique et prouvent que c'est du fait-main.

lathelize (il y a 12 ans, 8 mois)

Merci de m'avoir rappelé cette très belle citation d'Hokusai.
Je pense que la microscopique imperfection est aussi ce qui te différencie d'une machine.
Mais je suis aussi d'accord pour reconnaître cette légère frustration surtout si tu as passé un temps infini sur ce vêtement.
Et franchement pour regarder dans mes rares vêtements "haut de gamme", le super parfait est quand même rarissime !

Douce Dodie (il y a 12 ans, 8 mois)

Ahh ces imperfections, elles sont peut être invisibles pour les autres mais elles nous pourrissent bien la vie quand même!!!
mais cet œil qui devient critique s'étend aussi à tous les vêtements, fait main ou pas : j'achète de moins en moins en boutique car bien des fois, lorsqu'on regarde justement les finitions, on s'aperçoit qu'elles sont bien pire que les nôtres!!!
En étant autodidacte, je ne suis pas sûre de parvenir à atteindre une jour "le vêtement parfait" , couturistiquement parlant, mais j'y tend chaque jour, à chaque projet, dans des choix de plus en plus techniquement compliqués qui demandent plus de temps mais un meilleur rendu. Qui sait, dans 10 ou 20 ans peut être.....

Blanche Neige (il y a 12 ans, 8 mois)

100% d'accord avec ce que tu viens d'écrire, c'est extrèmement frustant de faire quelque chose de "presque parfait", ou il n'y a juste qu'une bricole qui cloche, en général un aspect ou découdre n'arrangerait rien (sinon on l'aurait déjà fait!).
la citation d’Hokusai est vraiment très belle et nous rapelle qu'il faut laisser le temps au temps. Si ça se trouve, nous ne ferons des vêtements "parfaits" que dans des années, et ça sera peut être encore assez tôt ;)

papelhilo (il y a 12 ans, 8 mois)

une question : est-ce que parmi les couturiers certains sont capables de dire que leur vêtement est parfait ? c'est même pas sûr !
alors de mon point de vue, être exigeant c'est très bien (je crois bien que je le suis aussi, avec moi-même et souvent du coup aussi avec les autres, ce qui est plus problématique, hum hum ...) mais une fois l'objet achevé il faut savoir laisser filer ... personnellement j'aime prendre mon temps pour viser la perfection à chaque étape, mais une fois que j'arrive à la fin, s'il y a des petits défauts (et il y en a évidemment toujours, même quand je réalise pour la 3e fois le même patron !) ça ne me turlupine pas plus que ça ... On se rend souvent compte que les choses les plus saisissantes visuellement (dans tous les domaines) le sont par un effet d'ensemble, ce qui n'exclut absolument pas de micro-détails tordus ... (moi je bloque sur les dessins de pieds, dans les BD par ex, qui sont tout bancals regardés isolément, mais qui ne changent rien à l'impact du dessin !)

mu & cie (il y a 12 ans, 8 mois)

Ah un bien bel article là! c'est vrai que plus on progresse et plus on est exigente et c'est ce qui est bien de toujours vouloir faire mieux!!
j'adore repenser aux erreurs de débutantes...
et non la perfection n'existe pas je pense! et même parmi les vêtements du commerce haute gamme!

manny (il y a 12 ans, 8 mois)

Ah ces petites imperfections ! Un jour ma fille m'a décomplexée en me disant qu'elles étaient mes" marques de fabrication", le petit truc que toi seule repère qui différencie du vêtement acheté tout fait (quoique bien souvent on trouve bien des imperfections dans les vêtements du commerce ...) . C'est vrai aussi qu'en progressant on devient de plus en plus exigeante, mais celà fait partie de notre apprentissage , c'est en cousant qu'on devient cousette.
Très belle citation d'Hokusai, qui à mes yeux n'a fait que de très belles choses.

Bisoudoudou (il y a 12 ans, 8 mois)

on a tous un peu le même problème je crois... mais après tout est ce si grave? Moi je prends un vrai plaisir à porter ce que je fais petits défauts ou pas... L'avoir fait est une victoire en soi. Et puis l'imperfection est preuve d'unicité, l'Homme ne peut être parfait, le vêtement est à notre image. Il faut se laisser une marge d'imperfection sinon on ne portera jamais avec plaisir ce que l'on fait. L'important est le résultat, le rendu, le confort, le plaisir et l'avis des autres compte... qu'ils s'y connaissent ou pas...

Mochi Mochi et Cie (il y a 12 ans, 8 mois)

Merci pour ce message... Je ne suis jamais satisfaite non plus mais grâce à ton message je sais maintenant que je ne suis pas seule et donc il ne me reste plus qu'a me soigner :) ou PAS

Piü (il y a 12 ans, 8 mois)

un article qui tombe à pic dans mes préoccupations ! Je suis en train de terminer un sac en toile, tout simple, en ayant pour but des coutures, mesures, et finitions parfaites. Et pourtant, ça zigzag...
Et la grande question lors de la rédaction de l'article sur mon blog : je montre mes erreurs à la blogosphère ou je laisse croire que ma réalisation est sans défaut ?

La Noueuse d'aiguillette (il y a 12 ans, 8 mois)

Ahhh, ben moi j'ai déjà fait du parfait... Dans mes rêves. En tout cas merci pour cet article. Moi non plus je ne suis jamais satisfaite à 100%, mais c'est ça qui m'intéresse, progresser. Le jour où je ferai tout bien, la couture deviendra un automatisme sans rêve.

ptitgaelle (il y a 12 ans, 8 mois)

merci pour cet article Saki !, moi aussi je vise la perfection sans vraiment jamais l'atteindre, mais je me contente de l'approcher, et puis c'est vrai que même les vêtements du commerce sont loin d'être parfait... pas sûre que cette perfection existe , en tout cas ce doux rêve nous fait progresser et c'est ça qui compte :)

delfimo (il y a 12 ans, 7 mois)

Bel article une fois encore! La perfection on n'y aspire toutes et moi comme vous.
Mon chéri se moque toujours de moi quand je pointe directement du doigt les défauts de mes créations..."y'a que toi qui les vois et pourquoi tu ne regardes pas ce que tu as super bien fait?" il n'a pas tort...et ça me fait toujours penser à une de mes citations préférées : "l'art est beau quand la main, la tête et le coeur travaillent ensemble", et que ferions nous une fois la perfection atteinte? on perdrait notre humilité? on s'ennuyerait si on ne cherchait plus à l'atteindre...alors vive nos petites imperfections!

Slania (il y a 12 ans, 7 mois)

Je rejoins les filles pour dire que moi aussi, je me fais souvent les mêmes réflexions que Saki.
Par contre cela m'embête, car parfois c'est les mêmes petits défauts qui reviennent, mais ça me travaille pas plus que ça.
Je pense que cela vient du fait que j'exerce un métier manuel, fait de compromis incessants, où ce n'est jamais parfait, etc. Du coup, je dois relativiser mes imperfections couturesques plus facilement peut-être.

SophieDentelle (il y a 12 ans, 7 mois)

Depuis que je couds, et que je suis exigeante avec moi-même, je suis encore plus exigeante avec les vêtements du commerce. Les plis au montage des manches de chemise, la maille pas coupée dans le droit-fil et le tee-shirt qui tourne, font partie des trucs que je regarde systématiquement, je fais mieux. Pas à la perfection, mais assez bien pour être satisfaite et me faire plaisir. Il faut dire que 2 ans de cours du soir en couture sont passés par là.

Sanawenn (il y a 12 ans, 7 mois)

alors ça c'est sûre, on est toutes aussi perfectionnistes, moi la première... je dirai que c'est simplement parce qu'on a le nez sur les défauts de nos créations! et j'essaie de me dire que c'est peut être que ce soit du home made qui plait, si c'était parfait, ça serait trop "industriel" et ça serait certainement moins joli aux yeux des autres...

Madame Bazaar (il y a 12 ans, 7 mois)

Je ne sais pas si la perfection est de ce monde, mais en tous cas, elle ne fait pas partie du mien. Heureusement, quand on publie des photos de nos créas, on n'est pas vraiiiiiiiiiiment obligées de les montrer, ces petits défauts. Parfois, faut savoir jouer l'autruche et se dire que la prochaine fois, ça sera mieux (l'espoir fait vivre).

feedautomne (il y a 12 ans, 7 mois)

Quelque part, je me retrouve un peu tout de même, dans ton magnifique article, même si je ne suis pas perfectionniste, et que ça m'évite d'être malheureuse lorsque je fabrique quelque chose. Maintenant, si ma bévue ou ma maladresse n'est pas récupérable ni rectifiable, j'en suis malade, moi aussi. Mais, honnêtement, la majorité des vêtements que je couds est tout sauf parfaite, car je préfère "bidouiller" au profit de la vitesse d'exéction et comme chacun le sait, vite et bien, hum ... c'est rarement gagné :-)

Gwendolyn (il y a 12 ans, 7 mois)

J'ai découvert ce côté perfectionnisme avec la couture. Et, je pense qu'il ne faut pas hésiter à montrer les imperfections de nos coutures sur nos blogs, si cela peut éviter à d'autres de faire les même erreurs...

Dérupe (il y a 12 ans, 7 mois)

Si je pense que publier les imperfections peut être formateur, je crois que ne rien dire et publier des photos qui mettent en valeur le vêtement et appellent des compliments permet aussi de mieux les accepter et de porter ledit vêtement imparfait ;-)

So.Capoeira (il y a 12 ans, 7 mois)

aaaaah, mes vêtements sont loin d'être parfaits, et ceux du commerce aussi d'ailleurs, et même ceux haut de gamme, si on regarde bien, il y a toujours des petits soucis, des petits arrangements avec les finitions ou le tissu, des doublures non adpatées, des boutons qui sautent alors que le vêtement est neuf...
Déjà faire ses propres vêtements permet d'éviter une partie des pb des vêtements du commerce. Par contre, après une frénésie de "je-veux-que-mon-vêtement-soit-parfait", je me suis assagie. Si dans la qualité de finition on ne fait pas la différence entre mon vêtement et celui du commerce, alors je suis contente.
Ca me refait penser à une notion que j'avais vu pendant mes études : la surqualité. En gros, une fois que la qualité d'un produit est satisfaisante, vouloir tendre vers la perfection devient contre productif car le "coût" supplémentaire pour y arriver est trop élévé (on met ce qu'on veut dedans : trop cher en quantité de décousage, en tissu, en temps, en nombre d'essai sur cette magnifique boutonnière passepoilée)