Faites de la broderie, pas la guerre !
Tel aurait pu être le slogan de Alexis Casdagli, officier de l'armée britannique. Prisonnier des nazis de 1941 à 1945, il transforma un simple passe-temps en œuvre de rébellion. Histoire extra-ordinaire d'une famille d'hommes brodeurs ...
A partir d'une simple toile à canevas et de fils rouges et bleus tirés d'un vieux pull d'un codétenu, Alexis Casdagli occupa de longues heures d'ennui à broder au point de croix son premier innocent tableautin. Mais ce que le texte ne dit pas (puisque la phrase brodée ne fait que dater l'ouvrage), c'est que les motifs décoratifs qui l'encadrent -traits et points irréguliers- sont une transcription en morse de messages engagés : "God save the Queen" et "Fu*k Hitler" ! Casdagli expliqua ensuite qu'il considérait de son devoir de maintenir une forme de refus face aux nazis, et même que cet acte de bravoure fut un moyen pour lui de ne pas devenir fou durant ses 4 années dans des camps.
Il eut l'occasion d'enseigner la broderie à des compagnons de cellule, allant jusqu'à organiser des cours devant plus de 40 autres officiers prisonniers !
Le caractère méthodique et la patience d'Alexis expliquent, outre ses carnets remplis d'annotations sur le quotidien, cette autre oeuvre-témoignage représentant les cellules où ses camarades et lui étaient retenus en Allemagne. Il y mentionnait la disposition des pièces, le menu ("soupe, patates, 'wurst', pain, semoule"), et broda même un drapeau du Royaume-Uni. Ce symbole étant évidemment interdit parmi les prisonniers, il ajouta au-dessus une sorte de volet marqué des mots "do not open". Lorsque les gardiens soulevaient le volet et lui reprochaient le drapeau en-dessous, Alexis répondait que ce n'était pas lui qui le montrait, il était bien écrit de ne pas ouvrir ! De petits défis qui font sourire aujourd'hui mais relevaient bel et bien d'une désobéissance périlleuse à l'époque.
Son fils Tony a hérité du talent de son père et a vu ces derniers mois quelques unes de ses propres oeuvres exposées au Victoria and Albert Museum de Londres. A cette occasion, il racontait l'héritage venu de son père : séparé très jeune de lui par la guerre, Tony se souvient encore du courrier original reçu quand il avait 11 ans. Il s'agissait en effet d'une lettre entièrement brodée sur tissu par son père ! Bien des années plus tard, après de nouvelles séparations dues à l'engagement du père et du fils respectivement dans l'armée et la marine, tous deux se retrouvèrent, désormais retraités, pour broder ensemble et évoquer enfin certains aspects du passé. Ses activités de broderie ont ensuite conduit Tony a devenir le premier homme membre d'une association de point de croix de Chelsea. Il brode désormais pour ses enfants et petits-enfants disséminés aux quatre coins du monde, des poèmes ornés de figures animales ou légendaires.
![casdagli_treeoflifedetail](/media/uploads/2012/01/casdagli_treeoflifedetail.jpg)
Aujourd'hui, les œuvres du père et du fils attirent autant l'attention les unes que les autres, tout en étant bien différentes. Tony souligne le caractère appliqué, patient et discipliné, mais peu imaginatif de celles de son père, alors que lui-même soigne davantage la composition. Il évoque aussi les réticences de son père devenu vieux devant le talent de son fils, en qui il voyait une sorte de rival ! Le fils en profite pour souligner que le père ne brodait finalement plus que par habitude : d'un acte de rébellion, la broderie était devenue une sorte de routine indispensable au quotidien, mais sans réflexion particulière -en témoigne le fait que ses dernières oeuvres ont toutes été abandonnées à moitié finies.
Pour ces hommes peu ordinaires comme pour d'autres adeptes à travers l'histoire, la broderie fut en tout cas une occasion de laisser un témoignage aux générations futures, au-delà des différences de talent.
![casdagli_ballad](/media/uploads/2012/01/casdagli_ballad.jpg)
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Oh c'est super intéressant tout ça, merci beaucoup papelhilo pour cet article !
eh ben ... je ne connaissais pas du tout cette histoire Je trouve qu'elle est extrêmement intéressante (ah la broderie en morse, j'adore!) Merci beaucoup!
belle histoire...de père en fil(s) merci
en fait autrefois beaucoup d'hommes brodaient surtout dans la marine...et les tailleurs étaient des hommes...
Merci pour cet article! C'est une très belle histoire en tout cas.
Comme quoi, la résistance peut prendre bien des formes.. mais reste toujours un acte fort.
Très intéressant! Merci beaucoup! Bises
Merci pour cet article très intéressant :)
passionnant; merci de nous faire connaitre cette **dynastie** de brodeurs
Belle histoire, merci pour la découverte !
Lorsque je brode c'est pour écrire des citations ou des phrases engagées... j'adore mais je n'ai pas assez le temps de le faire.
merci pour ce témoignage de brodeurs engagés...